Ole Bull (1810-1880), violoniste et compositeur, est une figure historique du patrimoine culturel norvégien. Talentueux, charismatique, doté d'un remarquable sens de l'improvisation, reconnu pour son feeling, sa volonté de privilégier l'émotion et la mélodie, sa personne est inséparable de sa passion pour la musique folklorique norvégienne.

Lorsqu'on évoque la musique folklorique on imagine volontiers les gigues endiablées, les reels et toute la panoplie possible des danses populaires. Mais dans le cas présent, il n'en est rien car ce disque s'adresse d'abord à l'âme, parce que son inspiration est celle d'un lieu qualifié par Bull de mystérieusement attractif, Lysøen, une île norvégienne et par ailleurs site de la résidence d'été de Ole Bull.

On comprend donc qu'il n'est pas question de danses mais qu'il s'agit de la captation de l'esprit d'un lieu, et la villa Lysø, où a été enregistré cet album, participe elle aussi de ce paysage particulier grâce à son aspect de manoir sorti tout droit d'un conte féerique.

Les Norvégiens Nils Økland (violons) et Sigbjørn Apeland (piano, harmonium) vont s'inspirer des improvisations de Bull, souvent basées sur la musique folklorique norvégienne, et tenter de retranscrire ainsi l'atmosphère de Lysøen, de ses jours glacés hivernaux, de ses bois et lacs si nombreux et divers, de sa montagne hypnotique. L'influence de la musique contemporaine est également bien prégnante, et grâce à des inspirateurs comme Edvard Grieg, Jan Garbarek, Don Cherry... on comprend définitivement qu'il s'agit là d'un album qui n'a d'autre objectif que de mettre en musique des images.

Ainsi, « La Mélancolie », qui fait resurgir des images du passé, donne le « la » de cet album. Dans le superbe traditionnel « I Rosenlund under Sagas Hall / La Folia » ou « Stusle Sundagskvelden » le violon joue au conteur alors que le piano déroule le paysage naturel en arrière-plan. « Tjødn » est un bijou d'ambient joué au piano dans lequel le temps se fige.

Le nostalgique « Jeg har så lun en hytte » vous prend aux tripes, combine la beauté mélodieuse du violon et le bourdon de l'harmonium et fait ressortir la puissance d'âme ancestrale de ces terres sauvages. C'est à peine si on ne sent pas les effluves du terroir monter ou la terre s'égrener entre vos doigts.

« Belg og slag », aux cordes attaquées staccato et aux vapeurs planantes d'harmonium, est un morceau atmosphérique qui trouverait toute sa place dans un film aux décors grandioses.

On pourrait continuer à décrire ainsi les nombreux titres de cet album mais le décor est déjà planté et le lecteur sait de quoi il en retourne à présent. Ces seize titres ont été minutieusement sélectionnés par Manfred Eicher en personne - patron de la maison ECM - à partir de plusieurs heures d'enregistrement. Cet album se révèle tout simplement sublime et nous avons là seize excellents titres, traditionnels, ou composés par Ole Bull ou inspirés par lui, un album qui saura à la fois réunir ceux qui aiment l'authenticité des musiques folkloriques et ceux qui sont à la recherche de musiques contemplatives et atmosphériques.