Bernard PAGANOTTI est, après Jannick TOP, le plus fameux bassiste ayant joué avec MAGMA. Après ses débuts avec le groupe CRUCIFÉRIUS (A Nice Way Of Life, 1970 mais aussi le super-45-tours en 1968 sous le pseudonyme de Fatty Nauty) et une amorce de carrière de session-man, il a joué aux côtés de Christian VANDER en 1975 et 1976, entre les deux passages de Jannick TOP (1973-74 puis 1976). On l’entend sur le Live de 1975 ainsi que sur un morceau de Üdü Ẁüdü qu’il a co-écrit avec le chanteur en titre Klaus Blasquiz. Ce morceau est "Weidorje" ("Roue Céleste" en Kobaïen, titre trouvé par Klaus Blasquiz). C’est sa seule composition pour MAGMA, et il n’est donc pas étonnant que ce titre soit si atypique, que ce soit au sein de l’album ou pour l’ensemble du répertoire. C’est le deuxième d’une série de cinq morceaux courts alignés en première face de l’album qui, pour la première fois depuis 1972, est un recueil et non le support d’une longue composition). Comparé à des scuds comme "Rïah Sahïltaahk" ou "Hhaï", "Weidorje" fait montre d’un moindre découpage rythmique, préférant une mélodie compacte (qui, étrangement, m’a toujours évoqué le BOWIE de Lodger) évoluant sur une rythmique en balancier. On y entend déjà les lignes de Minimoog si caractéristiques de Patrick GAUTHIER, collaborateur récurrent de HELDON et arrivé dans MAGMA après le Live, succédant à Benoît WIDEMANN en tant que premier clavier. Le chant est en revanche toujours aussi singulier, reconnaissable entre mille.

Bernard PAGANOTTI fonde un groupe avec Patrick GAUTHIER en 1976, consécutivement à leur départ de MAGMA, et le baptise WEIDORJE, d’après sa composition sur l’album Üdü Ẁüdü. Tout comme MAGMA, WEIDORJE consolide son répertoire en concert (incluant le morceau de 1976) avant de le graver sur disque, lequel est publié en 1978 et particulièrement bien accueilli par la presse et le public (spécialisés). Cependant, malgré de nombreux concerts incluant deux passages à l’Olympia de Paris, Bernard PAGANOTTI est lassé des difficultés croissantes quant à l’organisation des concerts, et finit par dissoudre le groupe en 1979 avant qu’un projet de deuxième album n’ait pu se concrétiser. WEIDORJE est resté depuis lors, après MAGMA, l’une des références du style Zeuhl.

Même si Bernard PAGANOTTI a été le leader de WEIDORJE, celui-ci a interprété, le long de ses trois années d’existence, les compositions de plusieurs de ses nombreux musiciens. À ce titre, WEIDORJE ferait presque figure de supergroupe. Tous ses membres, à l’exception des souffleurs Alain et Yvon GUILLARD, proviennent de MAGMA, HELDON – Jean-Philippe GOUDE et Michel Ettori ont participé au deuxième album Allez Téïa (1975) – ou de formations connexes – le batteur Kirt Rust a collaboré avec les frères LOCKWOOD (l’album Jazz Rock de 1976 avec Bunny BRUNEL).

Le long "Elohim’s Voyage" qui occupe la première face du vinyle a été composé par Bernard PAGANOTTI. Première certitude à l’écoute: ce n’est pas de la copie de MAGMA. Moins de tricotage infinitésimal pour une rythmique plus austèrement martiale, tout en ne faisant pas l’impasse sur les changements de nomenclature, avec une délicieuse polyrythmie en 9/8, notamment le passage hypnotique du milieu avec ces guitares et claviers en folie, le riff de basse n’étant pas sans rappeler le Jannick TOP de "De Futura". Une autre différence fondamentale est le chant, cœur (j’ai failli écrire chœur, par lapsus) de la musique de MAGMA, double de la mélodie chez WEIDORJE, pourtant toujours difficilement classable. L’incise rythmique initiale, longue de neuf notes, est déclinée avec un rythme différent tout comme le premier thème de Lumpy Gravy (1969) de Frank ZAPPA.

Les deux morceaux de la seconde face, plus longue, sont du fait de Patrick GAUTHIER, et le moins que l’on puisse dire est que ça s’en ressent. Ses lignes de clavier si singulières, relativement discrètes sur "Elohim’s Voyage", reprennent ici tous leurs droits. "Vilna" démarre plutôt calmement avant de partir en quenouille toujours plus fort jusqu’à la fin. "Booldemug", dont le riff de clavier à contretemps rappelle MAGMA, est plus direct, plus dense mais plus facile à cerner car moins alambiqué dans ses enchaînements. J’ai une petite préférence personnelle pour "Booldemug" mais il faut dire qu’avec "Vilna", Patrick GAUTHIER a fait très, très fort. À l’instar de Benoît WIDEMANN sur ses propres albums, palpable est sa délectation à créer des structures rythmiques tarabiscotées. C’est bardé de polyrythmie dans tous les recoins, les transitions sont improbables, à tel point que chaque écoute est une redécouverte. Ça tient comme par enchantement et c’est génial. Incroyable de se dire que les mecs ont interprété ça en concert.

Les deux compositions inédites captées en concert à Rombas le 14 octobre 1978, figurant en bonus des éditions CD (à partir de 1992), méritent l’écoute. "Rondeau", composition de Jean-Philippe GOUDE (ayant remplacé Jean-Paul Asseline en 1977), alors second clavier de WEIDORJE, ressemble à "Vilna" en plus mélancolique. Si ce morceau n’atteint pas la folie douce de son futur album Drones (1980), la mélodie et la superposition de motifs de claviers y sont très belles. Peut-être le morceau le plus touchant du répertoire de WEIDORJE. "Kolinda", œuvre de Michel Ettori, semble un cran en-dessous du reste sans pour autant démériter. Le morceau met du temps à décoller mais la seconde moitié est bien énergique, proche de "Booldemug" en plus binaire, après un solo de guitare spatialisé qui rappelle rétrospectivement celui de la version live de "Mëkanïk Dëstruktïẁ Kömmandöh" de MAGMA à l’Olympia en 1980 (cf. Retrospektïẁ).

Si les musiciens étant passés par MAGMA n’y sont pour la plupart pas restés plus de quelques années, ils se sont imprégnés du style Zeuhl et en ont tiré parti pour développer ensuite leur propre musique. Explorer les carrières parallèles des membres de MAGMA est particulièrement satisfaisant et WEIDORJE n’en est qu’un des nombreux exemples.