Donnez-moi un projet un peu farfelu, ludique, né d’un pur délire conceptuel et je répondrai présente. Derrière HANDSOME BOY MODELING SCHOOL, il y a la rencontre de deux mecs ultra créatifs à la fin des années 90. Inspiré d’un sketch absurde, le duo visionnaire de producteurs américains partage une vision décalée et ironique du hip-hop alternatif. D’un côté, Dan THE AUTOMATOR, alchimiste d’un groove futuriste et de beats élégants ; de l’autre, Prince PAUL sévit dans le rap progressif avec ses samples bien placés. Ils vont donc jouer les pseudo-dandys snobs dans une ambiance second degré en tournant en satire le mannequinat masculin, avec une gourmandise évidente : critiquer la société du paraître tout en balançant des beats de haut vol sur leur premier album publié en 1999, So… How’s Your Girl?.

D’entrée de jeu, avec "Rock N’Roll (Could Never Hip Hop Like This)", le duo nous fait comprendre que tout sera théâtral. Un collage de riff de guitare rock samplé à l’ancienne et de scratch bruitistes qui se télescopent dans une véritable science du beat, tout comme dans "Holy Calamity [Bear Witness II]" également, une pure démonstration de style avec son turntablism agressif et démentiel ; un morceau iconique où le scratch est roi. "Magnetizing" pose un tempo ralenti, presque lounge grâce à cette réverbe subtile qui donne des teintes de trip-hop sensuel au morceau, et cela malgré des percussions bien appuyées. Les claviers old school sonnent légèrement désaccordés et la production de ce trip feutré rappelle la vibe d’un film noir, ambiance stoner-intello.

"Metaphysical (A Good Day)" plonge dans une atmosphère surréaliste très réussie avec une instru sèche, clinique et planante. C’est un des passages expérimentaux de l’album où le rap se situe quelque part entre la poésie et la science-fiction : Miho HATORI du groupe CIBO MATTO murmure dans un anglais onirique pendant que Mike D des BEASTIE BOYS rappe avec son flow nasal de toujours. Le beat psychédélique glisse tout seul mais sous la surface, les textures grouillent d’inventions, une leçon d’assemblage qui transpire l’exigence sonore.

HANDSOME BOY MODELING SCHOOL nous balance du second degré à tous les étages, des interludes kitsch avec des samples de dialogues TV et des nappes de synthé comme sur "Look At This Face (Oh My God They’re Gorgeous)", au skit message vocal évident "Calling The Biz" ou en mode pub sur "Father Speaks", en passant par un monologue absurde qui souligne le grotesque du concept (They made me take off my top/I am a male model, not a male prostitute/Modeling just sucks) sur un sample de BEETHOVEN dans "Modeling Just Sucks", les transitions s’enchaînent mais ne se ressemblent pas, pour notre plus grand plaisir.

Des morceaux comme "The Projects (PJays)", "The Runway Song" et "Torch Song Trilogy" reviennent aux bases en couplant flows impeccables et instrus smooth alors que "Megaton B-Boy 2000" est complètement barré avec son gros beat industriel façon électro-punk. Ça c’est très avant-gardiste, contrairement à la berceuse pop "Sunshine" que je n’ai pas trop aimée, où Sean LENNON susurre avec fragilité des couplets lo-fi mélancoliques sur quelques accords flottants.

J’ai vraiment adoré le beat glitché et littéralement humide de "Waterworld", un titre qui montre que HANDSOME BOY MODELING SCHOOL peut tout à fait devenir contemplatif sans être ennuyeux. Un bijou discret de sound design aux arrangements post-jazz délicieux et à la spatialisation sonore très travaillée. Il y a aussi "Once Again (Here To Kick One For You)", un boom bap à la prod' fouillée qui a quelque chose de rétro et de très moderne à la fois, dont la basse chaude lui donne toute son attitude. Enfin, je retiens le petit chef-d’oeuvre "The Truth" où notre duo sample le "Coffee Cold" du pianiste et compositeur Galt MACDERMOT. La voix de la chanteuse irlandaise Roísín MURPHY flotte divinement sur cette ambiance trip-hop noire aux reflets jazzy. Le new yorkais J-LIVE y apporte la précision technique d’un MC au flow cérébral. C’est le sommet de l’album, un morceau qui à lui seul présage l’élégance expérimentale des futurs projets du groupe.

Vous l’avez compris, HANDSOME BOY MODELING SCHOOL, ce n’est pas juste une parodie, c’est de la haute-couture hip-hop au layering massif. La technique est réelle - hybride et brillante - démontrant que l’humour peut cohabiter avec l’adresse musicale car ici le concept n’est qu’un prétexte à la créativité. Ce sera donc un 4,5 car So… How’s Your Girl? aligne des morceaux impeccables et incarne la philosophie de HANDSOME BOY MODELING SCHOOL : croiser l’intello et la dérision dans une maîtrise totale. On en redemande.