Lorsque la vague grunge a explosé, Seattle est devenue le berceau de musiciens qui ont marqué la musique Rock de la fin du vingtième siècle, à l’instar du cultissime Kurt COBAIN. Celui-ci a tellement personnifié ce mouvement qu'à de rares exceptions cela a laissé dans l’ombre des artistes dont le talent a été éclipsé par ce dernier. Je pense notamment à John Macis (DINOSAUR Jr), mais également Shawn Smith.
Ce dernier, bien que nettement moins connu que ses homologues, n’en mérite pas moins une reconnaissance artistique à la hauteur de son talent. S’il a bien moins marqué l’histoire de la musique Rock de son empreinte que Eddie Vedder, Chris Cornell ou Kurt Kobain, il a toutefois su créer un univers musical particulier et plein de charme. Sa patte reste toujours reconnaissable, que ce soit au travers de ses albums solo ou bien de ses divers projets, dont SATCHEL est certainement le plus intéressant.
Le premier album de SATCHEL, EDC paru en 1994, valait surtout pour le magnifique "Suffering" qui évoquait un peu le "Sober" de TOOL, seul titre vraiment marquant du lot.
Avec The Family les choses changent. En effet, c’est tout l’album qui est de cette trempe, de ce niveau de qualité. Bien que n’étant pas un 'one man band', SATCHEL porte indéniablement la marque de son chanteur et pianiste Shawn SMITH. Celui-ci insuffle tristesse, mélancolie, émotion et beauté à tous les titres présents sur cet opus. Dans un style assez minimaliste et sobre, le groupe propose des morceaux dont l’émotion est le véhicule principal, le tout porté par un piano languide, par une voix qui, bien qu’officiant majoritairement dans un registre très posé, sait parfois se faire rugissante ainsi que par une guitare aux sonorités à la fois rugueuses et planantes. L'ensemble génère une musique aux ambiances tout en douceur et en émotions.
Ainsi, dès "Isn’t That Right" le charme opère à plein. Un piano sobre s'y combine à la batterie, une guitare traînante et la voix spectrale nous ensorcèlent pour nous plonger dans un monde fait de coton et de nuages. Inversement, les deux titres suivants révèlent la face la plus dynamique du groupe. Il en va ainsi de "Without Love" mené par une rythmique bien plus présente, un chant plus conventionnel et véhément, transcendé par un piano qui se fait orgue. Puis de l’excellent "Not Too Late" qui se démarque avec sa guitare aux effets fuzz très bien sentis, du "Criminal Justice" durant lequel Smith se montre sous son angle le plus fragile et le plus émouvant, mais également du champêtre et éthéré "Breathe Deep", jusqu'à "Time « O » The Year" dont la ligne de basse propulse les vocaux au firmament, la suite ne faiblit jamais, confirmant l'état de grâce du groupe.
La flânerie s’interrompt brusquement avec le bruyant "Some More Trouble", peut-être la seule faute de goût de cet album magique. Mais cette parenthèse de courte durée est balayée de la meilleure façon qui soit par le biais du paradisiaque et fluide "Tomorrow". Les guitares se font ondulantes, opérant alors par vagues. Alors que les vocaux se font caresses. L’auditeur n’est plus de ce monde. Un monde qu’il n’est pas près de réintégrer tant l’émotion de "Roll On" n’a de cesse de l’engloutir dans ses rubans vénéneux jusqu’à l’étreinte fatale qui prend la forme d’un solo final aussi sobre que divin.

Avec The Family, SATCHEL a réussi à créer une ambiance unique, un monde à part dans lequel il est si agréable et reposant de venir se perdre. Vous cherchez un disque de chevet, celui-ci m’a accompagné pendant des années vers des rêves empreints de brumes et de sentiments plus fantasmagoriques les uns que les autres.
La potion est magique, Shawn Smith est sans aucun doute un sorcier. Attention, le voyage ne présente pas d'échapatoire.