SEMAINE BOITE A DEMANDES

Avec le début de vie affreux qu'elle a connu, jusqu'à son adolescence du moins, on comprend que Dolores O'RIORDAN et son tempérament de feu aient eu besoin d'illustrations diverses de rébellion, notamment dans des changements de look réguliers et de préférence avec des cheveux courts. Aussi, la pochette de son premier album solo, Are You Listening?, est-elle une bénédiction ; une crinière brune, longue et des plus courantes, simple pour couronner son visage et sans tatouages apparents. Elle est ici à son meilleur, et tant pis si cela sonne archaïque ; l'impression est à la sérénité, voire une possible forme de paix avec elle-même, autant qu'à la beauté, d'autant plus en sachant (chose confirmée par l'album suivant) que cela peut fort bien ne pas durer.

Outre cette pochette magnifique, lorsque l'album sort en 2007, c'est un événement à portée large. Les CRANBERRIES sont en sommeil depuis environ cinq ans et le resteront encore autant ou presque, si l'on s'en tient à leurs créations. En 2004, O'RIORDAN chante l'"Ave Maria" du film La Passion du Christ de Mel Gibson et, plus confidentiel mais pas moins important, elle prête sa voix à trois compositions splendides d'Angelo BADALAMENTI, compositeur favori de David Lynch, pour la bande originale d'Evilenko où joue Malcolm McDowell, très noir, on s'en doute niveau textures. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que la voix de l'Irlandaise, très fine et mesurée, sur fond de nappes troublées au synthétiseur, bien dans le style du grand mus-italien (et sans rien enlever à la mieux connue Julee CRUISE dans ce domaine), n'est pas un mince plaisir.,

Rien de ceci, naturellement : sur Are You Listening?, la chanteuse retrouve le son CRANBERRIES mais en moins indé/alternatif, ce qui n'est là non plus guère négligeable pour qui (comme votre serviteur) a beaucoup de mal à apprécier leurs tubes, "Zombie" en tête, mais également "Animal Instinct" ou même "Analyse". Leurs disques respectifs contenaient de meilleurs titres mais rien à faire, l'impression que O'RIORDAN (bien qu'excellente technicienne au style personnel) en faisait toujours trop, le côté féministe/défense des animaux conjugué au son grungesant ou à de la pop électro un peu facile n'y changeant rien. Alors qu'ici, et même sans le concours du groupe, on a l'impression que tout est arrivé à maturité, y compris au niveau vocal : tous les tics d'un "Zombie" ou d'autres morceaux plus récents sont transcendés.

Dolores O'RIORDAN, alors richissime (une des premières fortunes féminines d'Irlande) est devenue maman d'une troisième et dernière petite fille, avec son mari Don Burton, ils semblent encore en bonne entente. Bien que sombre par moments et marqué par les décès de proches, Are You Listening? dégage un sentiment de force tranquille et de limpidité comme rarement cela a été le cas au cours de cette carrière, voire de cette vie dont divers aspects (jusqu'à la mort, depuis) éveillent la compassion, la révolte face au tragique. L'écriture de chansons, entre deux temps en famille et sur une durée de quatre ans, s'avère moins être une urgence qu'un passe-temps doré.

L'album est beau, reprenant les codes des CRANBERRIES et jusque dans le chant, mais en mieux. Rien que "When We Were Young", un single assez optimiste dédié à l'enfance, est témoin d'une telle affirmation, entre rythmique rock appuyée notamment sur le refrain 'écorché' et tout en appoggiatures (notes brèves précédant des plus longues) à la O'RIORDAN. Une superbe chanson, de même que "Loser" au riff lourd, au refrain aussi cool qu'efficace, aux 'yaaah' des plus charmants en voix de tête, ou alors "Accept Things", pop lumineuse, splendide.

Encore une fois, tout n'est pas rose : "Ecstasy" parle des addictions diverses et comment les gens concernés doivent vivre malgré tout. Le spectre macabre du cancer (comme celui du défunt papa O'RIORDAN) est très présent dans les textes de "Stay With Me", magnifique titre brumeux, ainsi que de "Black Widow", dédiée à sa belle-mère décédée en 2003. Cette dernière d'ailleurs, avec son piano légèrement baroque et ses voix/ambiances fantomatiques, demeure assez incroyable, le départ plus 'hard' ensuite n'altèrant la chose en rien. C'est l'un des titres les plus forts de l'album, avec "In the Garden", qui n'est pas sans évoquer parfois un "Cloudbusting" de Kate BUSH par une autre fille d'Irlande au style affirmé, libre. L'alternance couplet électro-nébuleux et refrain rock démentiel est à ne point manquer, de même que la fin avec ses 'round and round' en boucle.

Il faut dire que Dolores O'RIORDAN a recruté un sympathique petit groupe aux couleurs plutôt canadiennes, relativement au pays de naissance de son mari - et au lieu où ils passent toutes leurs vacances d'été, le sud de l'Ontario où ils ont un chalet -, sans oublier le producteur du présent album, Dan Brodback (aidé par Youth alias Martin Glover de KILLING JOKE !). Comme dans les CRANBERRIES, on s'amuse de la présence de deux frères à nouveau, Steve et Denny DeMarchi, le premier ayant déjà joué pour le groupe et le second l'intégrant au moment de la réunion par la suite. Le seul Irlandais à part madame, Graham Hopkins, a joué dans des groupes connus comme THERAPY?, The FRAMES (et SWELL SEASON, duo de Glen Hansard avec Marketa Irglova). Enfin, Marco Mendoza, homme des U.S.A. et un des meilleurs bassistes de la nouvelle génération de rockeurs, a commencé auprès de Bill Ward (BLACK SABBATH) puis dans THIN LIZZY.

Grande classe donc, et qui convient fort bien même à des titres plus doux, comme la ballade pop-rock sensible "Ordinary Day" (où O'RIORDAN, avec un coeur d'enfant de nouveau, célèbre en toute maternité l'arrivée de sa benjamine) tout en cordes et arpèges fins, de même que "Apple of My Eye" sensuelle, "Angel Fire" à la fois héroïque et charnelle. "Human Spirit" est encore une grande chanson insoupçonnée, perdue entre rythmiques sourdes et mélodie claire comme de l'eau de roche, piano, cordes et whistle irlandais.

Mis à part peut-être "October" qui paraît légèrement en-deçà car plus classique, mais qui garde un bon caractère, ce ne sont que des petits bonheurs en chapelet de nuances clair-obscur mais avec un peu plus de clair et qui fait un bien fou. La chanteuse elle-même en a été très fière et l'a considéré comme son travail le plus fin. Il est défendu comme il se doit par quelques pays outre l'Irlande, comme l'Italie, la France et la Suisse, ainsi que dans une moindre mesure la Belgique, le Royaume-Uni et l'Espagne. L'album a la note de sa pochette, notre Erwin est d'accord !