Le Québec est garant d'une tradition de chanson française qui se perd dans l'Hexagone. Cette tradition des mélodies intenses, mettant en valeur des textes profonds, sur des arrangements tour à tour funestement exubérants ou tendrement intimistes. C'est bien chez les Pierre LAPOINTE, Vincent VALLIERES et autres Alexandre POULIN qu'a migré cette capacité à donner du sens aux notes et cette poursuite de l'œuvre bariolée des FERRE, des SOUCHON. S'il y a, de notre côté de l'Atlantique, nombre d'artistes de talent qui s'inscrivent dans cette tradition, ils sont minoritaires, noyés sous une vague d'insalubrité radiophonique, là où la Belle Province semble leur accorder plus de crédit et une exposition à la hauteur de la qualité de leurs réalisations.

Stéphane ARCHAMBAULT s'ajoute à cette longue liste d'artistes qui portent haut les couleurs de la chanson francophone. En Europe, le nom de l'artiste est indissociable de celui du groupe MES AÏEUX, dont les ritournelles intergénérationnelles et à la portée universelle ("Dégénérations", "Les Oies Sauvages") ont su trouver un chemin par-dessus les océans. A 55 ans, et alors que son groupe n'a plus donné signe de vie depuis 2012, l'artiste propose (enfin) un premier album solo. Un album très autobiographique, à la fois ouaté et chaleureux, jusque dans sa tristesse et sa mélancolie. Tantôt folk lorgnant vers les années 70, tantôt plus moderne, cet album est un heureux accident pour un artiste qui a décidé, presque naturellement, de donner le format "chanson" à ses envies d'écriture. Conçu de manière épurée, sur des lignes de chant, a capella, l'album bénéficie de la présence de l'arrangeur Joe Grass qui a permis à Stéphane ARCHAMBAULT d'étoffer ces ritournelles qui visent le cœur, et touchent souvent leur cible.

C'est a capella que le chanteur interprète les premières strophes de "Complainte entre deux âges", ode à cette jeunesse qui s'en va ("il t'a fallu changer d'adresse / tu déménages chez mes enfants) et prétexte à un texte introspectif, aux allures de bilan. Cette idée de transmission, de succession, se retrouve aussi bien dans les textes que dans leur mise en œuvre, puisque Clovis et Jeanne, les enfants du chanteur, participent à l'album, le premier jouant du piano, la seconde posant sa voix sur le refrain de "Pays", décrivant l'espoir éteint d'un Québec souverain.

Ecrivant à la première personne, Stéphane ARCHAMBAULT donne corps à des textes sincères, exploration des doutes, des attentes et des peines. Certains morceaux résonnent avec une force particulière. C'est le cas de "Quinze novembre", ballade guitare / voix, qui met en perspective les difficultés personnelles (le cancer de sa mère) avec la tristesse de toute une nation, qui pleure alors le décès de Karl Tremblay, chanteur des COWBOYS FRINGANTS. L'artiste vise ici juste, puisqu'à travers l'évocation de sa vie résonne en écho celle de millions d'humains qui se retrouvent dans ces ambiances à la fois tristes et réconfortantes. La voix chaude de l'artiste est parsemée de craquelures, de fragilités, qui décuplent l'intensité intime d'une interprétation particulièrement juste et forte.

"…" (que nous appellerons "Trois petits points") est un autre moment fort. Une valse triste porte ce texte qui narre l'attente solitaire, face au bleu de nos écrans, le besoin universel et insatisfait de chaleur humaine. Stéphane ARCHAMBAULT livre ici une chanson d'une beauté rare, qui justifie à elle-seule l'existence de cet album. Un peu plus loin, "Nous", quelque part entre COHEN et DYLAN, habille d'arpèges évoquant les années 70 un texte qui, sous couvert de doute, met en mots cette engeance qu'est l'humanité, à la racine de sa déchéance. Sans forcer, le chanteur génère des images, des couleurs, des sensations, et se fait presque malgré lui un conteur dont la voix résonne au plus profond de l'âme de ses auditeurs.

Comme une réponse au premier morceau, c'est a capella que l'album s'achève, "La Dernière Chanson" se faisant prospective, une uchronie décrivant au conditionnel cette ultime ritournelle qu'interprètera son auteur à l'heure de sa mort ("Je chanterai "merci pour tout", demanderai pardon pour le reste"). Sur quelques notes, posées là et qui s'excuseraient presque, le chanteur livre une chanson folk contemporaine dont la beauté intime est une des plus belles surprises musicales de l'année.

Le silence qui suit ce dernier morceau est encore du Stéphane ARCHAMBAULT. Ce premier album solo, conçu par un heureux accident, n'est pas une version actualisée de la musique de MES AÏEUX. Porté par un évident talent d'interprète, le chanteur propose une musique à mi-chemin entre folk et chanson française qui, lorsque les guitares acoustiques se mettent à l'avant-poste, fleure bon les années 70. Bien qu'il se présente comme un bilan, Point souffle aussi un vent de vie et d’avenir, nous laissant espérer un bel avenir artistique pour celui qui, décidément, n'avait pas encore tout dit.