Bernard SZAJNER a commencé sa carrière artistique comme technicien d’effets lumineux sur scène pour le compte de MAGMA, GONG, Klaus SCHULZE, The WHO ou Stomu YAMASHTA. Il fait partie de l’un des rares, avec Patrice Warrener pour Tim BLAKE, à avoir poussé aussi loin l’association entre sons et lumière, avec en particulier l’usage intensif de la technologie laser. Il est surtout l’inventeur en 1980 de la harpe laser, invention qu’il fait breveter et que Jean-Michel JARRE utilise et popularise dès 1981 avec sa tournée en Chine – il en utilisera deux autres versions en 1986 à Houston et en 1990 à La Défense.

Inspiré par le roman Dune de Frank Herbert, ce premier album s’inscrit dans la lignée des expérimentations séquencées de Richard PINHAS sur les albums de HELDON ainsi que ses deux premiers albums solo (Chronolyse et Rhizosphère). Bernard SZAJNER met cependant de côté la composante rock pour pousser encore plus loin l’exploration électronique, ce qui n’exclut pas la participation du guitariste Colin Swinburne, du bassiste Hansford Rowe (GONG) et de Clément Bailly (NEMO, Benoît WIDEMANN) derrière les fûts. Les quatre réunis sur "Harkonnen" créent un rock électronique pré-industriel voire cyberpunk avant l’heure. Impressionnantes sont la précision des séquences et la richesse des sons que Bernard SZAJNER parvient à tirer d’un Arp Odyssey, de modules Oberheim et de quelques modules d’effets – il n’utilisera les modules RSF qu’à partir de 1980. Sur "Ibad", la voix de Klaus Blasquiz est modifiée à l’extrême, pas si loin du complètement barré "Couscous Bouletium" (1980) d’ODEURS. Sur le morceau suivant "Kwizatz Haderach", c’est Annanka Raghel, moitié du groupe FONDATION, qui prête sa voix à une composition qui évoque effectivement la formation électronique d’Ivan Coaquette (cf. Sans Étiquette, 1980).

Visions Of Dune consiste en deux suites de six morceaux presque tous enchaînés entre eux – "Kwizatz Haderach" et les deux pistes bonus font exception –, enchaînements cohérents et captivants bien que chacun de ces douze morceaux constituent des compositions à part entière. Douze salles, douze ambiances. Les différentes séquences se succèdent au gré des transitions ou au contraire sont sujets à des cassures brutales ("Bene Gesserit", "Adab"). De cet album tout en contrastes, on peut distinguer la rare intensité des quatre premiers morceaux qui s’enchevêtrent étroitement sur la rythmique impassible de Clément Bailly, les très minéraux "Bene Gesserit", "Shai Hulud" et "Fremen" qui sont un prolongement spirituel du Agnetha Nilsson (1976) de HELDON, le rock de "Harkonnen" (comme dit plus haut), les deux suivantes à nouveau entièrement électroniques, et les deux dernières plus rythmiques et hantées par des voix désincarnées. Il faut y ajouter "The Duke" et "Spice" (pour cela, privilégier la réédition de 2014), deux morceaux qui auraient dû figurer sur l’album mais écartés par un label un tantinet frileux. Ces deux morceaux sont certes un peu à part: séquences extrêmement dégradées – dont l’une est dérivée de celle de "Kwizatz Haderach" –, mais des nappes rugueuses et arides, une atmosphère d’inconnu, de danger imminent. Une passerelle, une 'warp zone' vers l’Ambient sinistre de Superficial Music (1981).

C’est une musique unique en son genre, on est à mille lieues de TANGERINE DREAM et Klaus SCHULZE, et à quelques années lumières de VANGELIS ou JARRE.