Il est monté sur scène, frontman à la crinière noire et bouche pleine d’électricité, avec son band MANESKIN. Damiano DAVID, c’était la voix, la démesure, le mascara en sueur, le torse nu qui hurle la colère dans un rock mi-glam mi-punk. Aujourd’hui, l’animal de scène rentre les griffes et tente une carrière solo loin de la théâtralité du groupe italien. Le Romain sort un premier album, Funny Little Fears, une main sur le micro et l’autre sur le coeur. Il ne va plus hurler dans les arènes, mais choisit plutôt de nous raconter les blessures de son âme et les doutes de son petit coeur tout cabossé.

Ceux qui attendaient un écho de MANESKIN seront sans doute déroutés dès la première chanson du disque, "Voices". C’est de la pop pure et dure, lisse - j’ose le dire, à se demander si on a oublié de se laver les oreilles ce matin ou si Damiano est bien en train d’opérer un petit virage commercial. C’est produit sans aucune irrégularité et la mélodie est basique au possible, ici, c’est surtout la batterie qui capte mon attention. Un beat proprement calé, avec ce son ni vraiment sale, ni vraiment vivant, juste là pour porter le morceau comme une boucle de fond. En écoutant le single "Next Summer", je tombe presque de ma chaise : ballade pop sucrée toute mélancolique sur laquelle DAVID n’est pas mauvais vocalement mais il n’apporte rien de vraiment distinctif. Pour enfoncer le clou, une section de cordes bien lustrées vient enjoliver le refrain mais ce qui m’achève réellement c’est ce mélange voix-mélodie-accords ultra classique qui m’évoque un curieux cocktail entre ABBA, COLDPLAY et ce cher Benson BOONE.

Bon, pour le moment le mix ne résonne pas vraiment chez moi, deux morceaux qui jouent la carte de l’émotion grand public, mouais, je n’accroche pas. Pourtant, je ne suis pas contre le Damiano romantique, mais là, j’ai un mauvais pressentiment. Ça se confirme dans le single "Zombie Lady" qu’il chante en duo avec sa chérie Dove CAMERON et ce qui aurait pu être un moment intime et bien incarné sonne totalement faux. C’est là qu’on commence à se douter du problème, à cause de cette impression constante qu’on a effacé tout le grain et la rugosité de DAVID pour lui enfiler un costume de chanteur pop passe-partout.

Doucement tristes et ralentis, "Sick Of Myself" et "Solitude (No One Understands Me)" se complaisent dans cette langueur que Damiano semble avoir emprunté chez CIGARETTES AFTER SEX avec des atmosphères qui s’étirent, alors que "Tango" et le single "Born With A Broken Heart" reviennent avec des rythmes entraînants et une frénésie totalement formatés. C’est ce qui est le plus dérangeant dans cet album, ce manque de caractère tellement étonnant venant de DAVID, l’ex enfant terrible qui se fond aujourd’hui dans le moule bien huilé de la pop standard.

Damiano ne sort pas des clous, par exemple sur le duo "The Bruise" avec l’Anglaise Suki WATERHOUSE. Les guitares sont joliment jouées mais dans l’ensemble, ça demeure bien, bien mou… et qu’est-ce que l’ambiance est sage ! Davantage d’énergie dans le single "The First Time" mais DAVID continue de rester dans cette zone de confort anesthésiante ; et ce, malgré les accents de saxo qui ajoutent de jolis détails sans pour autant réveiller vraiment le morceau.

Petit revirement de situation dans "Tangerine" où une guitare slide fait son apparition pour apporter une petite touche folk et americana, pas révolutionnaire mais plus organique et texturée que dans les autres propositions du disque. Surprise, on trouve LABRINTH à la prod’ du single "Silverlines" qui débute comme une ballade au piano avant d’imploser avec l’intensité époque qu’on connaît du compositeur anglais. C’est plus dramatique évidemment mais croyez-moi, il n’y a pas de quoi fouetter un chat.

Mon conseil ? Tournez-vous plutôt vers "Angel", "Mars" ou "Perfect Life", trois chansons un peu planquées dans la tracklist mais qui permettent à DAVID de sortir la tête de l’eau. Le premier est plutôt sobre malgré ce piano martelé presque trop fort sur un semblant de groove sympa sur lequel Damiano module sa voix de façon intéressante. "Mars", elle, touche davantage par son atmosphère mystérieuse et plus sensuelle, voir un poil rétro, à la manière d’un Chris ISAAK revisité. Enfin, "Perfect Life" ose finalement aller voir du côté du minimalisme et ça fonctionne parfaitement : une guitare claire qui laisse la voix prendre toute la place. C’est peut-être la première fois qu’on entend un Damiano qui n’en fait pas trop et qui a lâché le cahier des charges de la pop. L’émotion n’est pas surexposée comme ailleurs dans le projet, ici elle arrive plus simplement, avec une pudeur sincère qui m’a beaucoup plu.

Ce serait un euphémisme de dire que je suis déçue par ce Funny Little Fears. Je m’attendais à tout sauf à ça… Damiano DAVID nous a fait un virage radical au point d’en perdre une bonne part de charme et de singularité. Il nous avait habitués au bordel et au drame, à l’outrance et à la tension scénique, mais au bout du compte, il ne reste qu’un chanteur aussi clean et calculé qu’un autre. L’envie de bien faire se fait sentir mais Damiano a troqué le feu pour une petite flamme timide, comme s’il s’était bridé lui-même pour correspondre au marketing des popstars mainstream. Dommage, même il y a encore de quoi espérer qu’il s’autorise un peu plus de folie à l’avenir.