Pas vraiment la sensation des années quatre-vingt dix, SPAIN, mais j’ai le souvenir d’éloges unanimes à leurs débuts. Découvert chez Bernard LENOIR (fait-il toujours de la radio ?) et vu dans un magazine progressif la semaine suivante, cette aptitude à dépasser les clivages ne pouvait que susciter l’intérêt. Avec ce nom élégant et cette pochette au goût certain, le spécimen avait finalement eu raison de mes dernières hésitations.

SPAIN est né de l’imagination de Josh Haden, fils du contrebassiste de jazz Charlie HADEN. C’est en 1989 qu’il fonde le groupe avec Ken Boudakian, rejoints plus tard par Evan Hartzell et Merlo Podlewski. En 1995, le quatuor réalise enfin son premier disque en toute liberté. Ni clip ni single, The Blue Moods of Spain propose une heure de musique linéaire, homogène et impropre à toute exploitation radiophonique.

Dans une décennie avide de nouveauté et favorable aux fusions, SPAIN opère un retour aux sources et recherche une certaine pureté. Le groupe remonte l’arbre généalogique du rock et retrouve les racines de la musique américaine. A ma droite, le blues ; son spleen, son balancement et ses harmonies. A ma gauche, la country ; son sentimentalisme, sa simplicité et sa ruralité. « It’s so true » met immédiatement dans l’ambiance ; rythme pendulaire, tempo ralenti, chant cotonneux… la suite n’ira pas plus vite, la suite n’ira pas ailleurs. The Blue Moods of Spain est ancré dans la tradition et trace son sillon avec patience et passion.

Le disque s’adresse autant à l’initié qu’au néophyte. SPAIN évite soigneusement les clichés et les pièges du revival. Il réinvestit intelligemment le passé et lui donne une authentique modernité. L’œuvre respire. Le son se veut limpide et naturel. Le mixage retranscrit fidèlement la proximité des musiciens qui semblent jouer à coté de nous. Les arrangements sont d’une grande sobriété. Guitares claires, voix douce, basse ronde et batterie caressée forment un socle inébranlable. Une trompette, des cordes ou des chœurs fantomatiques enrichissent parfois cette orchestration minimale avec goût. C’est l’occasion de découvrir deux des trois sœurs de Josh, (des triplées) qui suivent parallèlement des carrières solos dignes d’intérêt.

Haden aborde des thèmes profonds, parfois douloureux, sûrement autobiographiques. Chagrins d’amour, séparations, regrets et remords sont prétextes à se remettre en question. Ses termes témoignent d’un attachement aux évangiles et donnent à l’œuvre des allures de gospel moderne. L’auteur s’adresse à Dieu ou à Jésus pour obtenir des réponses à ses questionnements. Sa foi semble apaiser ses tourments et les chansons dégagent une grande sérénité. Le disque prend la forme d’une longue prière et invite l’auditeur, s’il y est disposé, au même recueillement.

Certains s’assoupiront peut-être au cours du voyage, mais l’écoute d’un tel disque est d’abord affaire de contexte et d’humeur. The Blue Moods of Spain est réputé pour être un disque d’été. C’est aussi un disque du soir. Voilà qui est bon à savoir.