En 1994, deux disques vont braquer les projecteurs sur la scène de Bristol et imposer le Trip Hop comme un genre à part entière : Dummy de PORTISHEAD et Protection de MASSIVE ATTACK. Le public est enthousiaste, la critique séduite. Cette musique cool et électronique s’est affirmée comme une alternative au rock et a offert les plaisirs éthérés dont toute une génération avait besoin.

A l’instar de nombreux groupes, MASSIVE ATTACK s’adapte à la morosité du moment. L’insouciance de Blue Lines laisse place à une douce mélancolie. La musique du trio devient plus détachée et acquiert une forme plus lisse.

La sollicitation de Nellee Hooper (fondateur du collectif séminal WILD BUNCH) à la production n’a rien d’un retour aux sources. MASSIVE ATTACK inaugure les remaniements qui émailleront sa carrière. Si Horace Andy reste fidèle au trio, Tricky a déjà un pied dehors. Son apport est pourtant décisif sur les titres rap (Karkakoma et Eurochild) et avec son départ c’est un peu l’aspect voyou du groupe qui s’envolera. Shara Nelson est remplacée par Tracey Thorn d’EVERYTHING BUT THE GIRL et Nicolette, jeune nigériane à la voix fluette et enfantine ; deux chanteuses qui éloignent le groupe de son feeling soul.

Avec un tel titre, les risques d’offensives étaient plutôt minimes. Protection est un disque reposant. Il ne comporte quasiment que des titres lents et joue sur les couleurs et les climats. Chaque invité incarne une humeur particulière et occupe sur le disque une place mûrement réfléchie. Les scratch ont disparu et les samples se sont raréfiés. La musique perd sa chaleur et devient plus électronique tout en affirmant ses attaches à la culture club (« Three », « Light My Fire »). Protection est le fruit d’un gros travail sur le son et les arrangements, à la fois massif et épuré, soyeux et glacé, et dépasse largement son prédécesseur dans ce domaine. Couleurs tamisées, ambiance nocturne, percussions peaufinées en laboratoire… rien à redire, ce film pour les oreilles est réussi et les amateurs de belles plastiques seront conquis.

Malheureusement, les compositions n’ont pas fait l’objet du même soin et frisent souvent l’inconsistance, se reposant sur la beauté de l’emballage : le longuet « Protection », le passable « Better Things » (pas gâtée la pauvre Tracey), le quelconque « Sly » et surtout l’insipide « Heat Miser », musique d’ambiance digne d’un épisode d’Urgences. Le reste est correct sans être exceptionnel et un triste constat s'impose : Protection ne repose pratiquement que sur sa production. Restent ses moments hip-hop (merci Tricky), ses parties dansantes (« Three », « Spying Glass ») et la force de ses climats, résultat d’un grand savoir-faire plus que d’une réelle imagination.

Protection fit accéder MASSIVE ATTACK au statut d’incontournable des années quatre-vingt dix, mais rappelons qu’il profita aussi d’un contexte favorable. S’il combla une grande attente et reçu un franc succès, sa tendance à sombrer dans la musique de fond me rend son écoute un peu frustrante. Qu’importe, MASSIVE possède des ressources insoupçonnées et va bientôt nous surprendre.

Note : Protection fut Remixé par DJ Mad Professor en 1995 sous le titre No Protection.