Je vous sens mous là, déjà usés par la reprise du boulot/des cours, traînant votre sale mine de lecteur fatigué sur mes belles chroniques d’artistes improbables. Je remettrai donc à plus tard le rock mexicain, la proto-techno allemande et le compte-rendu exact des derniers soubresauts de la ceephaxerie. Parce que je vous aime bien, au fond.

Place au tonique donc ; un peu de joie et de bonne humeur ne vous feront pas de mal ! C’est l’histoire de LENINGRAD, groupe délirant de ska-punk russe né à la fin des années 90 sur les rives de la Neva. Le chanteur, Sergueï CHNOUROV, est l’homme à tout faire de la formation pétersbourgeoise. Si on devait le présenter en quelques mots, à la manière de TF1 ou de M6, on le qualifierait volontiers d’« auteur-compositeur-interprète à la réputation sulfureuse » (bien insister sur le « sulfureux », ça fait frémir dans les chaumières). CHNOUROV est à la grossièreté ce que ROSTROPOVITCH est au violoncelle : un virtuose inégalé. L’élégance chnourovienne agace même les puissants, tel l’inamovible maire de Moscou Loujkov, qui n’a jamais caché son aversion pour le groupe (et pour pleins d’autres choses d’ailleurs).

Outre CHNOUROV, LENINGRAD se compose d’un grand nombre de musiciens, avec une très nette préférence pour les gros instruments qui font plein de bruit (le tuba, le trombone…). La recette est simple : le chanteur éructe ses paroles déjantées*¹, les cuivres pétaradent et les percus s’arrangent pour placer un petit motif entraînant de temps en temps. Le maître-mot ? La fête ! Et tous les coups sont permis : les refrains fédérateurs (qu’on évitera de reprendre en chœur dans le métro de Moscou quand même), les riffs assassins, les hurlements, l’éloge de la vodka et des femmes, et quelques envolées cacophoniques dignes du cirque Pinder.

LENINGRAD, ce n’est pas non plus que de la grosse déconne. Parfois, ce grand cœur sensible de CHNOURNOV nous dévoile ses goûts, ses passions, ses angoisses, ses états d’âme… « Grouppa Krovi » est ainsi un titre hommage à la chanson « Grouppa Krovi » (ça ne s’invente pas) du célébrissime groupe de rock soviétique KINO. Instant d’émotion : « V magnitofonie igraïet grouppa Kino / Ti govorich mnie : vouiklioutchi eto govno / Tebia lomaïet ot vsiakovo staria / Zatknis, eto lioubimaïa pesnia moïa » (Traduction : « On se passe une cassette de Kino / Tu me dis : enlève cette merde / Tu ne supportes pas ces vieux trucs / Eh ! Ta gueule ! C’est ma chanson préférée ! »).
Plus sérieusement, ce qui fait de LENINGRAD un groupe beaucoup plus intéressant que la moyenne des autres formations de ska-punk, c’est cette petite touche mélancolique et désabusée que l’on devine derrière la grosse fanfare festive. « Polnye Karmani » (« Les Poches pleines »), « Bez tebia (« Sans toi ») apportent une nuance de tristesse dans l’univers bigarré du groupe pétersbourgeois.

Oui, je sais, les best-of, c’est mal… mais allez donc mettre la main sur un album de LENINGRAD chez un disquaire hexagonal ! Ce (Ne)polnoïe Sobranie Sotchineni, pas trop rare, ravira ceux qui souhaitent tenter une première approche du groupe. Une bonne compil’, pas trop longue, avec les titres phares des albums Pirati XXI Veka et Datchniki, pour bien commencer. On regrettera quand même le peu d’importance accordé aux premiers albums, qui sont loin d’être mauvais. Surtout si c’est pour fourguer des titres-farces comme « Priviet, Jimi Hendrix ! », reprise de l’hymne russe à la guitare électrique.


*¹ Un seul exemple extrait de « Bliadi » : « Mysli niet i dienig niet, tolko khouy rabotaïet », comprendre : « Je n’ai pas d’idées ni d’argent, il n’y a que ma bite qui marche ».