Un beau jour, ou peut-être une nuit, près d'un lac qui n'était pas celui du Connemara, c'est d'ailleurs plus un grand étang, celui de la ville de Berre, si bien qu'on l'appelle l'Etang de Berre... Une petite maison qui se découpe dans le recoin d'un terrain vague, loin des entreprises et usines mais perdue au milieu du brouillard de la pollution. Ramené par le bus du soir, Alan suit le petit chemin qui relie la maison à la grand'route, son sac de cours sur le dos. A peine entré dans la maison, il le jette au pied des escaliers, comme si c'était une vulgaire cigarette et s'avance dans le salon. Papa est alors comme en transe, assis sur le canapé, tandis qu'une musique douce s'échappe de la chaîne hi-fi (nous sommes à une époque que les moins de onze ans ne peuvent pas connaître, donc pas de mp3, ou si peu). Alan avance doucement, mais...

"Tiens bonjour fiston ! Alors cette journée ?, dit Papa en s'empressant de couper la musique.
- Ca va, ça aurait pu être pire. Qu'est-ce que tu écoutais Papa ?
- Rien de bien intéressant pour toi.
- Mais si au contraire, j'ai trouvé très joli !
- Ah... Ben, c'était de la musique celtique... Rien à voir avec le Zeppelin, Deep Purple, Aerosmith et Korn, tes groupes préférés.
- Euh ben en fait je ne t'en ai pas parlé, mais cela fait quelques temps que j'ai un peu envie de changement... Le hard-rock c'est bien mais je voulais surtout me démarquer de tes goûts à la base. À la bibliothèque je suis tombé sur un article parlant de la musique celtique dans un livre et...
- N'en dis pas plus. Cela me fait très plaisir que tu t'y intéresses ! Ecoute, le mieux je pense c'est qu'au lieu de te refiler un disque de celtique pur jus, tu devrais en écouter un qui te serve de passerelle entre ton hard-rock et cette grande musique. Et pour ça il n'y a rien de mieux que le deuxième album des gallois de BLUEHORSES. Tiens, attrape !
- Dragons Milk And Coal ? demanda Alan.
- Oui. C'est marrant hein ? Ca évoque presque l'atmosphère autour de la maison. Si tu veux écouter...
- Et pourquoi cet album-là plutôt qu'un autre ?
- Parce qu'il y a le côté frais des débuts, une certaine unité dans la totalité de la tracklist même si tout ne se ressemble pas, et qu'on ne se dit pas une seule seconde autre chose que "C'est trop bon !" Mais tu devrais écout...
- Dans le livret je vois qu'il y a plein d'instruments comme la harpe, le violon, le banjo...
- Ah oui, en fait le premier album ne comprenait de folk celtique que les violons et les mélodies. Avec Dragons Milk And Coal, BLUEHORSES est passé à la vitesse supérieure. Déjà rien que le premier titre, c'est la harpe qui l'ouvre et le ferme (grâce à l'exquise Liz Prendergast) de manière enchanteresse, et le banjo participe bien à la fougue du morceau. Sur quatre minutes trente, cela fait plaisir à entendre. Mais tu devrais aller l'écouter par toi-m...
- Et tout dans l'album est comme ça ? demande Alan avec de grands yeux.
- Ah je peux te l'assurer fiston, ce disque est un grand moment de rock celtique. Regarde un peu, sur une douzaine de titres, tu n'as quasiment que des classiques ou des classiques potentiels. Toi qui aimes Led Zeppelin, tu devrais apprécier la rythmique de "D'ya" ainsi que l'enchaînement avec le puissant "Liberty" (où l'on entend un orgue Hammond qui te fera penser à Deep Purple), sans oublier le chant caractériel - mais non hurlé - de Liz Prendergast, les breaks de batterie intelligents et l'antithèse marquante entre les guitares acérées et les violons doucereux. Le final est jouissif avec le cri de guerrière et le solo magistral ! "Witch in Wedlock" (malgré un saxophone très peu mis en avant), "Goodbye" et "Old Haslams Bits" (ah, la mandoline !) constituent d'autres moments de trip hard-rock celtique très forts et ce bien que le tempo soit parfois plus posé. On a même droit à un titre caché qui porte le nom "The Abertridwr Wyrm" et qui est un excellent morceau déjanté de plus, porté par une rythmique joyeuse, le banjo et la mandoline. Mais franchement, tu devrais...
- Tiens et à propos des moments plus posés, il y a de la musique celtique douce, qui détend et fait voyager ?
- Eh bien par exemple, en intro de la marche (excellente elle aussi) "Barbara Allen", le groupe a décidé de citer un classique parmi les ballades irlandaises, "She Moved Through the Fair", ceci étant réalisé par une guitare életrique nébuleuse et une flûte à bec. On se laisse facilement porter, tout comme sur l'intro de "Goodbye" où ce dernier instrument joue en un ensemble à plusieurs voies, c'est on ne peut plus joli... "In Flanders Fields" vient calmer le tout avec sa guitare acoustique et ses violons de velours. Et puis cette harpe, hmmm... "Mining Song" est aussi un retour à quelque chose de plus acoustique, avec la guitare et des violons caressants également, notamment celui en aigü au fond. La mélodie du refrain est particulièrement magnifique... On n'est plus à l'Etang de Berre, là c'est vraiment l'Irlande, ses beautés, ses fées... En fermant simplement les yeux j'arrive à y penser... Que c'est bon... Hé mais, où es-tu ?
- Je cours écouter cette merveille !"
Papa, pour lui-même, se dit en souriant :
"Ah la la ce petit, il m'étonnera toujours..."