"Si je savais exactement pourquoi je chante, pourquoi des mélodies m’arrivent à l’esprit, pourquoi j’écris des chansons, pourquoi je vais sur scène alors que j’ai toujours peur de ne pas y arriver… j’aurais certainement choisi de faire autre chose ! Je vais là où mon désir me guide. Cette fois, il m’a menée à Venise. Mais lorsque vous écouterez ce disque, ne vous attendez pas à une description de l’île. A l’image de L’Emeraude et de Carmin, Bleu Venise ne parle pas de ce que l’on voit mais de ce que je ressens. Ces trois disques réunissent des chansons où des sentiments et leurs vertiges tentent de se fixer." (source, le site officiel de DAPHNE : http://daphne.artistes.universalmusic.fr/)

L'écriture automatique est l'exercice numéro 1 du musicien. Peu importe comment on la fait, l'important c'est de se mettre devant une feuille et d'écrire ce qu'on entend dans notre tête, avec notre oreille interne. C'est ce qui fait que même une autodidacte comme DAPHNE, n'ayant jamais appris le solfège ou un instrument, peut devenir au moins aussi musicienne que n'importe quel grand compositeur ayant acquis son savoir-faire avec l'âge. Elle a pratiqué cet exercice depuis son adolescence, en ayant l'originalité de développer son propre univers dans chacune de ses chansons, assez pour se faire remarquer par Benjamin Biolay. Son premier album, L'Emeraude en 2005, était déjà représentatif de ses capacités mais était passé inaperçu par rapport au public. Carmin en 2007 lui en revanche, avait fait mouche avec le fameux single "Musicamor", et voilà que DAPHNE nous revient en cette fin 2010, un nouveau concept sous le bras, Bleu Venise.

La chanteuse est à rapprocher de grandes artistes comme Keren Ann pour ce qui est de la douceur de sa voix et de l'emploi d'un chant suave, mais son propre univers fantasque la fait se démarquer des autres et constitue sa propre personnalité. Ses chansons possèdent des arrangements très étoffés et la poésie qu'elle utilise renforce ce sentiment de beauté folle, dans le bon sens du terme. Ainsi qu'elle le dit plus haut, DAPHNE a encore construit son univers à partir de ces sentiments. Elle ne raconte pas dans Bleu Venise la vie qui se déroule dans la ville sur l'eau, simplement ce qu'elle peut elle-même y voir, avec son imagination fertile. Pour se faire, elle a fait appel au producteur Larry Klein qui a accompagné d'autres grandes dames comme Joni Mitchell (excusez du peu), ainsi qu'à Vince Mendoza pour les orchestrations, tandis que son guitariste Sebastien Hoog s'occupe lui-même un peu de la réalisation.

Le disque s'ouvre avec l'orchestre, des cordes douces et froides qui évoquent le morceau à venir, "Venise Sous la Neige". Cette ouverture orchestrale très belle de moins d'une minute me rappelle le "Wind-Tales" d'Anthony Phillips, en aussi pur. Dans "Venise Sous la Neige", les amoureux s'en fichent que la ville soit noyée sous le blanc, ils ont chaud de leur amour DAPHNE y est comme dans beaucoup de titres du disque accompagné par une orchestration froide mais idéalement réalisée, les cordes sont présentes sans être envahissantes. Avec "Où Va Lila Jane ?", elle fait intervenir une orchestration pop légère. La jeune Lila quitte la neige pour aller au soleil et on se balade avec elle dans la plaine proche de la ville sous le soleil. Mais où va t-elle ? "Par tous les chemins" nous répond DAPHNE, preuve de son amour pour l'absurdité. "Mélodie à Personne" ramène à un registre plus doux, la guitare électrique, la contrebasse et le piano sont accompagnés de cordes rêveuses. Un cor d'harmonie survole le tout. Les images se succèdent dans le texte, nous faisant toujours part des sentiments innocents de la chanteuse. On y sent un amour très fort, qui renforce l'attachement que l'on peut avoir envers elle.

Et ainsi de suite. Chaque morceau révèle ses petits secrets tant textuellement que musicalement. Les orchestrations pop ou folk avec percussions sont systématiquement rejointes par d'autres plus classiques, le tout restant très léger, à l'image de cette chanteuse qui se promène rêveusement au gré de ses rêves positivistes. "L'Homme à la Peau Musicale" (premier extrait de l'album), "Moi Plus Vouloir Dormir Seule", "Hors Temps" et bien d'autres nous confortent dans notre sympathie pour la chanteuse, qui doit vraiment être une femme attentionnée dans la vie. Elle n'hésite pas à faire vivre encore plus ses textes français en y incorporant des paroles en anglais ou en italien, comme dans "Oublier la Ville". Les ornements frileux et fragiles atteignent des sommets d'émotion sur les "The Death of Santa Claus", "Portrait D'un Vertige" ou "Even Orphans Have a Kingdom" (ces choeurs...), mais tout l'album reste empreint de cette magie sentimentale positive.

Bleu Venise est ainsi l'un des albums les plus recommandables de 2010, pour qui voudrait prendre un peu de temps pour s'intéresser à cette perle rare dans le paysage musical francophone. Moi-même étant sensible à tant de sentimentalisme, je ne peux m'empêcher de lui mettre une autre note que la maximale, et l'originalité de sa réalisation me pousse à affirmer que quoiqu'on en dise, les Français, ou plutôt les Françaises n'ont pas tout dit. Oh non...

Note réelle : 4.5/5.