Tandis que Runrig s'accorde une pause qui semble interminable, les membres du groupe n'en restent pas pour autant inactifs. Iain Bayne manage avec cœur le groupe de rock celtique Coast, tandis que Brian Hurren et Bruce GUTHRO publient chacun un album solo. Contrairement à ses deux comparses, GUTHRO est loin d'en être à son coup d'essai, puisque Celtic Crossing est le cinquième opus publié sous son propre nom par le chanteur canadien. Une carrière solo menée en parallèle de son poste de vocaliste au sein de Runrig, et qui l'a amené à toucher des styles aussi variés que la pop-rock (Of your son en 98, puis No Final Destination en 2009), la country (l'album Guthro, en 2001) et le jazz (Beautiful life, en 2005). Malgré tout, l'artiste réalise avec Celtic Crossing une nouvelle expérience inédite : réaliser un opus-hommage à la culture celtique, et créer un pont entre les terres d'Irlande et de Nouvelle-Ecosse, séparées par l'océan Atlantique, mais réunies sur un album audacieux.

Canadien dans un groupe écossais, Bruce GUTHRO a pu, depuis son intégration dans Runrig en 1999, constater l'existence de nombreuses similitudes entre la culture celtique européenne, et celle, indigène, qui accompagna les colons sur les terres d'Amérique. Celtic Crossing constitue un panachage d'influences et de sentiments. En douze titres, traditionnels irlandais et écossais rencontrent des traditionnels de Nouvelle-Ecosse, tandis que le chanteur propose tout de même six nouvelles compositions de son cru. Voici sans aucun doute l'album le plus celtique de Bruce GUTHRO, qui marie ici parfaitement les mélodies pop-rock qu'il affectionne avec l'accordéon, le violon, la flute et le bodhran (entre autres instruments traditionnels). Le mélange fonctionne à merveille, et le chanteur nous emmène sans peine, à l'aide de sa voix chaude et profonde, dans son univers mélancolique. Les titres les plus enjoués (« Friends ») se voient en effet supplantés par des morceaux marqués par le départ et la peine, en attestent les traditionnels « Sailing home » et « Farewell to Nova-Scotia ». Ces ambiances contemplatives et intimistes constituent tout l'intérêt de cet album, bien loin des chansons à boire dénuées d'intérêt présentes sur la majorité des sorties celtiques actuelles.

Si les traditionnels, à l'image de la sympathique adaptation de « The water is wide », raviront les plus férus de culture celtiques, les compositions originales de Bruce GUTHRO fonctionnent également à merveille, et l'on se prend à frissonner à l'écoute de « Through it all » (qui voit l'artiste faire un clin-d'oeil à Runrig en reprenant l'introduction du morceau « Pog Aon Oidhche Earraich »), « Let it go » dont la sensibilité à fleur de peau ne laissera personne de marbre, ou « My old man », magnifique ballade dédiée au père décédé du chanteur.

Il fait bon, au coin du feu, écouter Bruce GUTHRO partager avec nous sa vision de la musique celtique, qui se fait ici mélancolique et riche de sa bienveillante timidité. Fort d'une voix immédiatement appréciable et réconfortante, l'artiste signe ici un album abouti qui ravira tous les amateurs de folk-rock celtique inspiré et respectueux du patrimoine celtique. Un album digne du talent d'un artiste accompli et méritant.

3,5/5