L'artiste à la vocation tardive essaie, bien souvent, de rattraper le temps perdu. La cinquantaine fringante, l'auteur-compositeur-interprète Bap KENNEDY a attendu 1998 pour se lancer dans une carrière solo, qu'il a depuis enrichi d'un nombre important de publications, dont ce nouvel album en constitue la dixième. Comme pour rattraper le temps qui a filé, tenter, comme ce ressac qui borde les côtes d'Irlande du Nord (dont il est originaire) de ne pas s'absenter trop longtemps, de venir frapper de manière régulière les tympans des marcheurs égarés ou des randonneurs éclairés, l'artiste se fait présent, redondant, à la limite du collant.

Sauf que Bap KENNEDY, on lui pardonne tout. Il est certain que tout artiste décidant de s'adjoindre les services de Mark Knopfler pour produire l'album et tenir la guitare sur l'ensemble des morceaux ne peut pas être totalement dénué de talent et d'oreille musicale. La musique, tantôt country, tantôt folk, tantôt celtique, de l'Irlandais est dotée d'une filiation naturelle avec la country celtisante de Knopfler, dont les lignes de guitares, discrets témoignages d'un toucher unique, apportent un intérêt supplémentaire à cet album qui ne manque pas d'atouts. Quelque part entre Bob Dylan et Ray Cooper, Bap KENNEDY use sa prose sur des mélodies riches d'instruments et dotées d'un aspect épique que seuls les musiciens-bourlingueurs sont capables d'instiller dans leur musique. Celle du Nord-Irlandais sent le vécu, l'empathie et les dessous de bras, et son essence se retrouve à l'écoute du morceau-titre, « The sailor's revenge », tendre ballade mêlant la voix délicate de Kennedy, la guitare mélancolique de Knopfler et le violon celtisant du virtuose John McCusker. Pas de débauches de sentiments, mais une base acoustique et une fusion d'ambiances magnifiées par un texte concis et frappant, sur le besoin de partir et l'envie de retour. Bref, le sujet de prédilection de tous ceux qui ont grandi et vécu au bord de la mer.

On découvre avec un bonheur non feint ces onze morceaux inspirés et dignes d'un auteur de grand talent. Les mid-tempo sont légion et offrent une ambiance chamarrée de tendresse et de mélancolie, à l'image de « Shimnavale », titre d'ouverture de l'album et magnifique morceau sur l'impossible retour vers sa terre de cœur. Si le sentiment de déracinement prévaut sur cet album, il ne dissimule pas pour autant cette empathie latente, qui flotte, de-ci, de-là. On la retrouve sur la magnifique « Jimmy Sanchez », ballade dédiée au plus jeunes des 33 mineurs chiliens enterrés vivants plus de 60 jours avant d'être secourus. La patte Knopfler fait sa première réelle apparition sur « Maybe I will », tendre ballade country que l'on aurait pu sans problème voir paraître sur un album solo du Britannique.

Le final de l'album vaut également le détour. « The beauty of you », déclaration d'amour acoustique, précède la longue mélopée finale, « Celtic sea », faisant la part belle à la flûte et au piano, et dont les six minutes permettent une montée en intensité extrêmement savoureuse. Un final sublime pour un album marqué par la présence de quelques titres dispensables, mais surtout imprégné d'une richesse mélodique tout bonnement exquise. En sachant s'entourant d'une équipe de très grande qualité, Bap KENNEDY propose avec The Sailor's Revenge un album aussi profond qu'efficace. Très certainement sa meilleure réalisation à ce jour.