C'est un sentiment à la fois étrange et grisant que d'être le témoin de l'éclosion d'un artiste. Suivre ses premiers pas et puis, album après album, le voir confirmer tous les espoirs placés en lui, voire les surpasser, pour pouvoir enfin se dire : « je savais que ce petit gars irait loin ». Tout cela pour dire que Roddy WOOMBLE a parcouru un sacré bout de chemin depuis son premier album, My Secret Is My Silence, en 2006. Un chemin fait de rencontres (l'album-collaboratif Before The Ruin en 2008) et d'une évolution naturelle qui a vu l'artiste écossais enrichir son folk d'abord intimiste d'influences rock, jazz et country qui ont contribué à façonner son identité sur The Impossible Songs and Other Songs en 2011. Listen To Keep voit le compositeur-poète affirmer un peu plus son inclination à proposer un folk bariolé et riche en surprises.

Enregistré tout comme son prédécesseur à An Tobar, sur l'île de Mull, dans les Hébrides, Listen To Keep voit Roddy WOOMBLE renouveler sa collaboration avec les musiciens qui l'avaient accompagné lors de sa précédente aventure. A la joie de la découverte succède rapidement le questionnement et le doute : où l’Écossais a-t-il voulu en venir en proposant, en guise d'introduction, ce « Making myths » lancinant, qui voit une guitare folk côtoyer un piano, une basse langoureuse et une lapsteel sortie d'on ne sait où. La compréhension ne vient pas à l'écoute de ce seul titre, mais se fait limpide comme de l'eau de roche dès lors que, après quelques écoutes, l'album se révèle dans son entièreté. Listen To Keep se doit d'être écouté, une tasse remplie d'un quelconque liquide chaud à la main, en train de regarder la pluie tomber et en laissant son esprit vagabonder. Ou lors d'un road-trip en solitaire, tant la palette d'émotions déployée permet de se sentir rempli et complet, en quelques chansons à peine. Le refrain bienveillant et motivant de « The last one of my kind », le violon enivrant et les chœurs féminins de « Listen to keep » œuvrent comme autant de cataplasmes sur le cortex de l'auditeur.

Si Roddy WOOMBLE est resté sensiblement le même que sur The Impossible Songs..., il semble néanmoins avoir mûri et pris de la bouteille. Preuve en est son travail sur les mélodies. Celles-ci se font plus difficilement saisissables, moins immédiatement compréhensibles, et nécessitent que l'auditeur fasse un pas vers l'artiste pour en prendre leur pleine mesure. Par touches discrètes, ci et là, l’Écossais glisse quelques sucreries qui se révèlent douces au palais : le break de « Build to Break », de nouveau agrémenté d'une lapsteel pouvant rappeler les sonorités d'un Malcolm Jones (Runrig), la beauté brute de « The Universe is on my side », qui combine tout le savoir faire d'auteur et compositeur de Roddy WOOMBLE, qui propose là un de ses tous meilleurs titres, ou encore le feeling country de « Time by Time », entre Dylan et Dougie MacLean, la jeunesse et la vigueur en plus.

On ressort de ce Listen To Keep abasourdi, en regrettant presque l'intimisme folk du premier opus du bonhomme, tant le foisonnement d'idées se fait simultanément délectable et oppressant. On ne peut cependant qu'adhérer et féliciter le travail d'un artiste intègre et inspiré, qui poursuit sa progression pour devenir, peu à peu, un incontournable du paysage musical écossais. Une œuvre à découvrir et qui a besoin de temps pour être appréciée à sa juste valeur.