Gene Clark est certainement l’un des plus grands song-writers américains, mais il bénéficie seulement d’une reconnaissance dans les milieux branchés. Membre fondateur des Byrds, il a la malchance d’avoir un autre Clark dans le groupe (Mike le batteur) ce qui ne facilite pas la mémorisation de son nom. Moins connu que Crosby, Hillman ou McGuinn, c’est pourtant lui qui pousse le groupe à ne pas faire que des reprises de Dylan et on lui doit par exemple « I'll Feel A Whole Lot Better », titre qui pourrait avoir été écrit par les Beatles. De même il met sa patte sur le fameux « Eight Miles High » mais il s’oppose artistiquement à Crosby et refuse de prendre l’avion pour les tournées ce qui amène cette fameuse réflexion de McGuinn "If you're a Byrd, then you must fly...". Imparable.

Il reste sur terre et se lance dans une carrière solo qui ne décolle pas malgré la qualité d’Echoes par exemple. Après une tentative de reformation des Byrds originaux en 1973 qui fait très vite un flop, notre gars commence à passer pour le mouton noir de Los Angeles. Mais, une bonne fée se penche sur sa destinée, David Geffen qui vient de créer son label Asylum en sortant Planet Waves de Dylan lui donne carte blanche pour un album solo, son quatrième. Lourde erreur mon général, le père Clark fait son marché et embauche Lee Sklar à la basse, Jesse Ed Davis et Danny Kootch aux guitares, Butch Trucks des Allman Brothers à la batterie, Joe Lala (Neil Young) aux percussions, et Clydie King aux chœurs. Le budget est tout de suite explosé, et fin 1974 Geffen sidéré écoute le résultat.

La pochette déjà évoque le Holywood de la grande époque, et des personnages tirés de Gatsby le Magnifique. « Life's Greatest Fool » le premier morceau est pourtant un country-rock classique de belle facture, mais cela se gâte tout de suite après. Les cinq titres suivants sont une plongée dans les délires de Clark, avec un « Strength Of Strings » véritable descente aux enfers, on croit entendre le Lou Reed de Berlin avant un long, très long « Some Misunderstanding » carrément désespéré.
Retour dans des atmosphères plus sereines avec « The True One » qui elle pourrait figurer sur le Harvest de Neil Young. « Lady Of The North » (référence à The Girl for the North Country de Dylan?) est presque optimiste et la guitare wah-wah et le violon du refrain sont magnifiques, histoire de terminer sur une vague note d’espoir.

David Geffen n’apprécie pas du tout, lui qui, comme plus tard avec Neil Young, espérait un album de country-folk pour les charts tombe de haut en écoutant la mise à vif des fantasmes et obsessions de Gene Clark… Pas de budget promo est la réponse du patron d’Asylum (avec un nom comme celui-là que pouvait-il espérer ?) aussi le disque atteint péniblement la 144ème place des charts américains.
Clark est grillé dans le showbiz, il n’est plus du tout bancable, et vivra douloureusement cet échec.

La sortie en CD est agrémentée de versions bonus alternatives, et ironie amère, la mort de Gene Clark en 1991, permettra de ressortir ses œuvres de l’oubli.

No Other est un immense disque, la production est digne des grands albums des Beatles, l’écriture n’a rien à envier à Dylan ou Cohen, mais il est en peu tard pour s’en apercevoir ! No Other fait partie de ses albums incontournables, que l’on ressort périodiquement et qui, une fois dans le lecteur CD, font éclater leur beauté, leurs blessures et dont l’écoute répétée confirme une évidence simple. C’est un chef d’œuvre intemporel, discret, racé.