Le concept de groupe au sens « formation portant un nom » est issu directement du rock. Pour le jazz comme pour le blues c'est le nom du ou des artistes principaux qui sont le plus souvent mis en avant, occultant souvent les accompagnateurs, ou les mentionnant simplement comme « featuring » quand cela s'y prête. Ainsi, on parle du groupe d'Oscar Peterson, du trio de Keith Jarrett, du groupe de Robert Cray, du duo Reinhardt/Grappelli, de l'orchestre de Duke Ellington... Mais l'arrivée du jazz fusion fin 60's, début 70's chamboule ce concept. Ce nouveau courant, propulsé notamment par Miles Davis et s'inspirant du modèle rock engendre une multitude de groupes de tous les horizons. Weather Report, Spyro Gyra, Steps Ahead, Stuff, Level 42, Uzeb et Yellowjackets sont autant de groupes qui ont vu le jour lors de cette vague fusion.

Depuis les débuts des années 80, période de formation de Yellowjackets, le groupe a enchaîné les albums : plus d'une vingtaine à ce jour. Souvent catégorisé comme un groupe de « happy jazz », tout comme l'est Spyro Gyra, il faut noter que le groupe de Ferrante et de Mintzer laisse une place plus importante au jazz pur. De plus, le style unique de Russell Ferrante et du saxophoniste Bob Mintzer notamment par son utilisation du EWI (Electronic Wind Instrument) a permis à la formation de créer sa propre couleur musicale.

« Timeline » est sorti en 2011, 5 ans après l'excellent concert « Twenty Five », et a marqué les 30 ans du groupe. Après avoir longuement travaillé avec le label Heads Up, c'est vers Mack Avenue Records (Gary Burton, Kenny Garrett...) qu'il se tourne. Première constatation un peu décevante : la disparition de l'EWI, instrument qui était plus ou moins la marque de fabrique du groupe. Deuzio, l'album mise beaucoup sur la ballade, ce qui peut en décontenancer certains. Le groupe évolue : tout d'abord, on ne retrouve pas le caractère fougueux des débuts et de certains concerts, ensuite, il est difficile de parler encore de jazz fusion. Cependant, le résultat n'en est pas mauvais pour autant.

Le meilleur morceau est celui qui ouvre l'album, « Why is It ». C'est Mintzer, compositeur de « Red Sea », une des plus belles pièces de Yellowjackets, qui en est à l'origine. À l'image de leurs premiers albums le morceau est énergique. Le thème est plutôt complexe et est joué à la fois par le saxo et par le synthé, le résultat est génial. À défaut d'EWI, Mintzer joue du ténor, du soprano et de la clarinette basse, ce qui, notamment dans ce morceau, témoigne d'une certaine richesse de jeu. « Tenacity », dont le thème hachuré rappelle un peu le style de Kyle Eastwood, est un morceau également très réussi. Ferrante s'envole dans une improvisation majestueuse, tandis que Mintzer, par ses qualités d'accompagnateur sublime le morceau grâce à un style particulièrement sautillant. Notons la participation du trompettiste John Daversa (présent aussi sur « Like Elvin »).

Parmi les morceaux au rythme moins soutenu il faut souligner certains comme l'éponyme « Timeline » dont le thème presque romantique - qui rappelle certaines musiques de Disney - est tout d'abord énoncé sur un ton feutré par Haslip (trop discret sur cet album, malgré ses qualités de soliste incontestable), suivi aussitôt par le saxophoniste. Dommage que des nappes de synthé viennent un peu gâcher l'ambiance en y apportant une dimension trop théâtrale, trop sentimentale. Le morceau s'emballe soudainement dans un pont à la cadence effrénée et tranche radicalement avec l'atmosphère installée jusqu'alors. Citons « Indivisible », qui démontre cette fois les compétences de Ferrante lorsqu'il s'agit de composer : l’ambiguïté de la mélodie promène l'auditeur entre tragédie et sentiment de bien-être. Robben Ford, l'un des fondateurs du groupe, apporte sa touche personnelle sur « Magnolia », morceau mid tempo qui s'écoute plutôt bien.

Si certains titres sont vraiment excellents, il n'en est pas de même pour l'ensemble de l'album. On ressent une certaine linéarité liée à la présence de plusieurs morceaux low tempo comme « Single Step » ou « My Solilquy » ou de thème peu inspirés comme « I Do ». Mais c'est cette esthétique lyrique qui déprécie « Timeline » ; Si elle convainc à plusieurs reprises, elle marque toutefois bien trop l’œuvre des Jackets.