Richard D. JAMES au milieu des années 90, c’est un type qui a tellement d’albums à sortir qu’il peut se permettre d’en laisser quelques-uns de côté. Ni Rephlex ni Warp n’étaient alors en mesure de suivre le rythme de production du DJ cornouaillais qui, de toute façon, avait déjà un regard suffisamment critique sur ses œuvres pour ne sortir que les meilleures. Caustic Window, l’album, est donc longtemps resté une légende urbaine, un vinyle mort-né pressé à cinq exemplaires en 1994, puis distribué aux amis de l’artiste. Le cas devait se produire de nouveau avec Melodies From Mars (APHEX TWIN) et L’Analogue Bubblebath 5 (AFX), autres fantômes de catalogue.

Tout aurait pu en rester là, si l’obscur détenteur d’un pressage test de Caustic Window n’avait pas mis son précieux en vente au début de l’année 2014. Tocsin et mobilisation générale chez les fans qui s’organisent sur les forums pour récolter la somme nécessaire à l’achat du L.P. Une fois acquise, la galette est numérisée et envoyée à ceux qui ont participé au financement, dont votre aimable serviteur, qui invente sans cesse de nouvelles manières de claquer son salaire dans des projets fumeux. Caustic Window a depuis été remis en vente et a trouvé preneur pour plus de 40 000 dollars.

Comme dirait mon voisin de stade : 'De toute façon, aujourd’hui, pour 40 000 dollars, t’as plus rien'. Il ne croit pas si bien dire. Caustic Window est dans la lignée de ce qu’a pu produire CAUSTIC WINDOW, le pseudo, au cours de sa courte existence dans les années 90. De la techno abrasive, éreintante, entrecoupée de quelques pistes délicieusement dansantes.
"Astroblaster", présent sur la compilation sortie en 1998 sur Rephlex, reste avec "Pac-Man (Powerpill Mix)", l’un des délires régressifs les plus réussis de Richard D. JAMES. Au fond, tout ce qu’il fallait attendre de ce vinyle revenu d’entre les morts, c’est ce même pot-pourri de techno vieillotte et de sonorités que l’on aimerait pouvoir assumer.

Le morceau d’ouverture surprend agréablement, rappelant les meilleures heures de la première partie de carrière d’APHEX TWIN. Evidemment, en 2014, ces nappes de synthés aquatiques et ces rythmes tribaux ne sont plus de toute première fraîcheur, mais qu’importe au fond : "Flutey" mérite qu’on s’y attarde. En revanche, les cinq titres qui suivent, un enchaînement éprouvant de rythmes rébarbatifs, rappellent le remplissage forcené des premiers E.P du même APHEX TWIN.

Puis, un miracle. "Airflow" déboule avec sa mélodie racoleuse et ses rythmes de boîte de nuit, et "Astroblaster" se trouve enfin un successeur, à vingt ans d’intervalle. Les quatre morceaux qui suivent, "Squidge in the Fridge", "Fingry", "Jazzphase" et "101 Rainbows (Ambient Mix)", annoncent les travaux plus expérimentaux de Richard D. JAMES dans la seconde moitié des années 1990. Comme les autres sorties mineures de l’artiste en 1994, Caustic Window propose quelques bonnes idées, mais reste bien en-deçà des sommets atteints par POLYGON WINDOW et APHEX TWIN en 1993. La seule composition vraiment étonnante, c’est "101 Rainbows (Ambient Mix)" qui aurait pu être l’œuvre d’un groupe d’électro allemand des années 70. On sait l’influence des TANGERINE DREAM et des KRAFTWERK sur le DJ britannique, mais on ne l’avait jamais encore surpris à singer Ralf und Florian.

Moyen, mais attendrissant, c’est sans doute la mention qu’aurait récoltée Caustic Window auprès d’une institutrice de grande section. L’aventure collective autour de la sortie de l’album vaut sans doute plus que la musique en elle-même, au fond. Beaucoup ont critiqué l'opportunisme de Richard D. JAMES, dressant le tableau d’un vieux geek en panne d’inspiration qui racle ses fonds de tiroir pour pressurer encore un peu plus d’autres vieux geeks. Peut-être. Quelque chose me dit qu’il y avait moyen pour lui de se faire beaucoup plus d’argent avec une sortie officielle. Warp n’attend que ça depuis 10 ans. Et puis, ce n’est pas lui qui a mis en vente ce pressage test, jusqu’à preuve du contraire. De toute façon, j’ai envie de croire que mon idole d’adolescence est toujours ce musicien complètement loufoque qui piétine allègrement toutes les règles du marketing musical. Risible, sans doute, mais salvateur.