Si l'exercice de la collaboration dans le milieu du rap est chose courante, ce qui est plus surprenant, c'est de voir une formation du genre s'allier avec un groupe de rock expérimental. Si l'on s'arrête au premier mot, il n'y a là rien d'étonnant, surtout pour une oreille des années 2010 : AEROSMITH et RUN-DMC, JAY-Z et LINKIN PARK, PUBLIC ENNEMY et ANTHRAX... mais quid de FAUST vs DÄLEK ? Et d'abord, une question : c'est qui ces mecs ? Alors FAUST, c'est un groupe culte de krautrock, principalement actif au début des années 70, puis qui a splitté avant de se reformer avec succès deux décennies plus tard. DÄLEK, c'est un trio de rap formé à la fin des années 90, et qui en est déjà à son troisième album lorsqu'il collabore avec FAUST. Mouais, des blacks qui vont scander « Nigga nigga nigga » et « Thug Life » sur une rythmique entêtante, ça pourrait en refroidir plus d'un, et surtout pousser à se demander comment deux univers si opposés peuvent coexister. Oui mais il faut prendre en compte un « léger détail » : DÄLEK est un groupe de rap expérimental, qui va refroidir plus d'un amateur d'East ou West Coast s'il n'est pas prévenu. De facto, avec l'équation « expérimental + expérimental », la chose semble plus aisée à appréhender.

FAUST et DÄLEK, donc, se retrouvent à travailler ensemble en 2004, au détour de l'album Derbe Respect, Alder. Derrière une pochette très indus, les deux groupes allient leur musique, et ne se contentent pas de sortir un bête morceau krautrock avec le flow de MC Dälek par-dessus. Non, ce serait trop facile. À la place, c'est à une véritable fusion des genres à laquelle on a droit. Derbe Respect, Alder est un disque terrible, oppressant, qui ne laisse pas de repos, de répit à celui ou celle qui se risque à l'écouter. L'ambiance tissée par les musiciens est digne d'une ancienne cité industrielle à l'abandon, chose qu'ont en commun les États-Unis et l'Allemagne (Detroit pour l'un, Düsseldorf pour l'autre...). Bref, le voyage s'annonce éprouvant...

… et il l'est. Derbe Respect, Alder s'ouvre sur un instrumental bien faustien, "Imagine What We Started", qui n'annonce pas forcément la couleur, mais prépare au reste. Et quel reste : FAUST et DÄLEK enterrent à la pioche l'auditeur avec des bombes dévastatrices, comme "Dead Lies", ou une longue épopée destructrice et encore bien krautrock. "Bullets Need Violence", qui parie avec succès sur les ambiances et effets sonores plutôt que la rythmique, arrive à se faire virulent et âpre, alors qu'une basse bien grave est saupoudrée sur "Collected Twighlight", qui sonnerait bien « deutsche qualität » si ce n'était le puissant flow de MC Dälek. Plus fort encore, les deux groupes se la jouent dark ambient sur "Remnants", qu'il n'est pas recommandable d'écouter dans l'obscurité de la nuit tellement il dérange. Ensuite, pour ceux qui voudraient quelque chose de plus traditionnel, "T-Électronique" (rien à voir avec le morceau présent sur Ravvivando) vient en fin d'album pour ramener, même progressivement, vers un rap plus mainstream.

Pas besoin de tourner autour du pot plus longtemps : Derbe Respect, Alder est un album radical, difficile, mais qui n'en reste pas moins très bon à écouter. Le croisement entre le krautrock et l'un de ses descendants indirects a été plus que fructueux. Cependant, il sera éphémère, puisque FAUST et DÄLEK arrêteront la collaboration, et en plus se quittent en mauvais termes. C'est un peu dommage, même si le contraire aurait été étonnant.

Note réelle : 3,5/5