Non, gast ! Non ! Le parcours de Krismenn & Alem a été jusqu’à présent exemplaire, alors pourquoi tout gâcher avec ce premier disque ? Kan ha Beatbox (1) avait toutes les cartes en main pour être une réussite et pourtant… Il faut croire qu’il y ait des groupes qui ne sont bons que sur scène. Car ce duo créé en 2013 est une véritable claque en concert, voilà bien une chose qu’on ne leur enlèvera pas ! D’un côté un chanteur traditionnel breton, Christophe le Menn alias Krismenn, formé à l’école d’Erik Marchand et endurci des festoù-noz, de l’autre un beatboxer de renommée internationale, Alem, déjà habitué aux rencontres musicales des plus originales. Krismenn & Alem est donc ce mariage inédit entre kan ha diskan et beatbox, le diskan (« contre-chant ») étant ici assuré par les rythmes vocaux de l’ami Alem. Une noce des genres récemment poussée encore plus loin avec la participation de la chanteuse indienne Parveen Khan et de son frère beatboxer Ilyas, qui enflamma notamment la salle du Parc Expo lors du Yaouank 2014.

Ce premier EP n’est donc pas franchement à la hauteur des espérances murmurées ça et là dans les tarvarns bretonnes par les fanatiques de la première heure, entre la seconde pinte et le saucisson. Kan ha Beatbox révèle une musique ainsi bien fade et terne en comparaison de celle pratiquée en concert. L’ambiance d’un fest-noz et le fait même de danser en groupe jouent naturellement beaucoup sur cette perception différente, cet éternel conflit entre œuvre studio et live qui prend certainement une dimension un peu plus particulière et importante ici. D’un autre côté, il existe pourtant une pléiade d’albums de kan ha diskan pur et dur qui s’écoutent sans problème, à la maison-chez-soi-posé-tranquille, rictus de plaisir aux lèvres, alors finalement qu’est-ce qui ne fonctionne pas ici ? Sans vouloir donner dans le traditionalisme musical de bas-étage, du genre « c’est comme ça konfé et pas autrement », il manque quand même cruellement quelque chose ici : la seconde partie du kan ha diskan, c’est-à-dire le contre-chant... Un rôle que ne remplit aucunement Alem qui n’apporte en définitif qu’un soutien rythmique au chant, en lui-même déjà très bien rythmé. La maîtrise est certes là, mais la mayonnaise ne prend pas. À titre d’exemple, l’expérience Kemener/Marchand/Menneteau/Le Menn, où le dernier complétait au beatbox le kan ha diskan des trois premiers, était largement plus convaincante et aboutie (2).

La rencontre semble ici trop forcée, sonne trop artificielle. Le projet initial était-il de mettre sur un pied d’égalité chant trad’ et beatbox ? Le second prend carrément l’ascendant et se complaît dans la démonstration de force (« Dao De’i », « Kozh Inosanted », « Gras Sec »), qui ne ravira que les amateurs de l’exercice. On est très loin de la transe habituelle du kan ha diskan et les cinq morceaux s’enchaînent sans fluidité, avec sécheresse même, souvent plombés par l’omniprésence pesante d’Alem. On ne retiendra guère que « Dileusket », voire « A’i Omp Deoc’h » à la rigueur, et encore. L’introduction du beatbox dans la musique traditionnelle bretonne reste une excellente idée que l’on ne peut que saluer, mais qui ne fonctionne que rarement sur cet EP. À titre de comparaison, les Gallos de Beat Bouet Trio s’en démerdent autrement mieux, même si la présence d’un accordéon change à juste titre la donne. Concernant KRISMENN & ALEM, on ne peut que désormais conseiller leurs passages en festoù-noz pour les découvrir et sûrement pas cet EP, sacrée déception pour un groupe capable de bien meilleur ! Attention à l’album !

Note : 1,5/5

(1) « Chant et beatbox »
(2) https://www.youtube.com/watch?v=Mv2sN7v7rh0