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GODSPEED YOU ! BLACK EMPEROR - Asunder, Sweet And Other Distress (2015)
Par MR. AMEFORGÉE le 9 Août 2015          Consultée 3124 fois

Finalement, le successeur de l’excellent 'allelujah! Don't Bend! Ascend! n’aura pas mis aussi longtemps à sortir qu’on ne l’imaginait. Trois petites années, c’est peu pour un groupe comme Godspeed You ! Black Emperor, autant dire un battement de cils, à peine le temps qu’il faut pour un beat-boxer performatif pour épeler l’expression « coup de feu » et voir l’auditoire, touché au cœur, basculer dans le vide. Levons le poing, comme il se doit, vers le ciel, et allons plus avant.

Asunder, Sweet and Other Distress plus que d’autres, appelle au jeu des comparaisons : avec sa durée de quarante minutes, c’est l’album le plus court de la discographie (si l’on prend le format cd pour base, tout du moins). De quoi allécher, peut-être, ceux qui avaient été échaudés par les fleuves que sont Lift Your Skinny Fists… ou Yanqui U.X.O. Qu’on ne s’y trompe pas toutefois, les quatre morceaux du disque, qui oscillent entre quatorze et six minutes, ne sacrifient pas aux injonctions d’efficacité de la pop et conservent les plantureuses lenteurs propres au post-rock.

D’autant plus qu’Asunder Sweet… se présente en réalité comme un mouvement d’un seul tenant, découpé par convention, pour le confort de l’écoute, lorsque la musique change de climat. Ce qui en fait, en fait, par un joli paradoxe, aussi bien l’album le plus court que le mouvement le plus long de la discographie du groupe. Le collectif canadien, comme souvent, a d’abord peaufiné son œuvre en live avant de l’immortaliser sur disque ; le nom de scène, à cet égard, est plutôt éloquent : « Behemoth ».

Grosse saturation, effets de bourdon (ou de drone), jeu avec les dissonances, Asunder, Sweet… poursuit la voie empruntée sur 'allelujah! Don't Bend! Ascend! avec plus de radicalisme peut-être. Le lyrisme, qui tend à rendre les crescendos post-rock, chez les mauvais groupes, assez caricaturaux, est réduit ici à peau de chagrin, au profit d’une approche plus primitive, à la fois plus concrète et abstraite. La pente est raide, le terrain hostile et la pâte musicale se fait volontiers soit papier de verre, soit vapeur informe. Ça écorche les oreilles, ainsi que les pieds, puisque, comme toujours, la musique de Godspeed You ! Black Emperor est un chemin de montagne. À d'autres moments, ça endort, par propagation délibérée de fumées toxiques... D’une certaine manière, Asunder, Sweet… articule des passages tonitruants, qui figurent l’infiniment grand (et effrayant), et des passages atoniques, qui relèvent de l’infiniment petit (non moins effrayant).

En guise de contrexemple (le seul), la partie d’ouverture, « Peasantry or ‘Light! Inside of Light!’ », voit émerger en son cœur un air facile qui a tout d’un hymne (au sens littéral du terme : mélodie chantante et glorieuse), mais il faudra d’abord passer par des accords massifs et dissonants, menés sur un rythme de procession. « Lambs’ Breath », en revanche, sorte de rêverie d’abattoir, n’est que crépitements ténus, oscillations fantomatiques et ondes suspendues, jusqu’à ce que la musique ne tienne plus que sur une seule note (le dernier souffle de l’agneau ?). Celle-ci se prolonge dans « Asunder, Sweet » et c’est le mouvement inverse qui s’opère, la cellule ténue, atomique, peu à peu, s’augmente d’autres sons, parasites, poussières, grincements, grondements et entreprend sa renaissance. La conclusion, « Piss Crowns Are Trebled », qui reprendra, entre autres, transformés, les accords massifs de la première partie, s’achève dans un ouragan cosmique dévastateur.

On le comprend à la lecture de ce bref descriptif, le résultat est loin de constituer l’œuvre la plus évidente du groupe et de nombreux grincements de dents sont à prévoir, même parmi les convaincus de la première heure. Notamment, le bourdon au cœur de l’album tend à s’éterniser et passera sans doute pour un ventre mou : à titre personnel, je l’aurais espéré plus fascinant, même s'il est difficile d'expliquer ce qui manque. Pour autant, dans l’ensemble, les esprits aventureux, les pilotes de drones et ceux qui ont pris l’habitude de mastiquer du granit au petit déjeuner n’auront pas à bouder leur plaisir.

Il faudrait peut-être s’attacher à décrypter l’expression « asunder, sweet », pour comprendre la démarche du groupe. La formule, qui semble au premier abord assez incompréhensible : « déchirer, doux »… n’est pas sans faire écho (un écho déchiré, en somme) à la célèbre expression shakespearienne « such sweet thunder ». Dans la première scène de l’Acte IV du Songe d’une Nuit d’Été, Hippolyte raconte qu’il a un jour été chasser l’ours en compagnie d’Hercule et de Cadmus, avec des chiens de chasse de Sparte. Alors, nous dit-il, jamais il n’a entendu de vacarme plus glorieux, car non seulement les halliers, mais aussi les cieux, les sources, toute la contrée avoisinante, semblaient se fondre en un cri. Jamais il n’a entendu de dissonance aussi musicale, jamais il n’a entendu de tonnerre aussi doux… L’explication est là : les limiers spartiates chantaient du Godspeed You ! Black Emperor.

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   MR. AMEFORGÉE

 
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1. Peasantry Or 'light! Inside Of Light!'
2. Lambs' Breath
3. Asunder, Sweet
4. Piss Crowns Are Trebled



             



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