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GODSPEED YOU ! BLACK EMPEROR - 'allelujah! Don't Bend! Ascend! (2012)
Par MR. AMEFORGÉE le 25 Février 2013          Consultée 6009 fois

Dans le monde du rock, une croyance populaire veut qu'un groupe sur le retour produise forcément un mauvais album, un album raté. Une étude scientifique américaine menée sur des rats, puis sur des enfants de parents homosexuels noirs, tendrait d'ailleurs à entériner cette thèse. Mais dès lors, 'Allelujah! Don't Bend! Ascend! constituerait un retentissant contrexemple. Toutefois, s'il s'agit du premier album de Godspeed You! Black Emperor (GY!BE pour les intimes) en dix ans, on pourrait arguer qu'en fait le groupe n'est jamais vraiment parti : en réalité, à l'image de sa musique, il évolue dans un continuum temporel différent du nôtre. Ce qui pour nous est une décennie s'avère tout au plus une poignée de mois chez nos imputrescibles Canadiens. Qu'importe alors si nos visages se sont parcheminés, nos ventres gonflés tels des outres et les seins de nos amantes aimantés vers le sol : GY!BE, lui, fidèle à lui-même, est toujours le grand groupe de post-rock que l'on connaît.

Pour ceux qui sont nés de la dernière pluie, rappelons la définition du post-rock : c'est du rock qui prend le temps de se développer, de s'éployer, de s'allonger, lentement mais invariablement, minimalistement et répétitivement, comme une file d'attente à la poste. Généralement instrumental, car les groupes sont trop fauchés pour engager un chanteur ; ce qui, en l'occurrence, dans le cas des Canadiens, n'est pas un mal, puisqu'il est de notoriété publique que ces gens ont une façon bizarre de parler.

En matière de retour, d'ailleurs, un huissier de justice méticuleux hululera à la tricherie avant de s'envoler dans la nuit noire d'un battement d'ailes : les deux morceaux principaux du présent album étaient déjà joués en concert en 2003. Il aurait cependant été dommage que l'humanité entière en fût privée, faute de gravure sur disque. Comme la lumière des étoiles nous parvient du passé : ils pouvaient encore nous illuminer.

« Mladic », du nom d'un fameux charcutier des années 90 et du haut de ses plantureuses vingt minutes, se révèle comme étant, peut-être, le morceau le plus accessible de toute la discographie de GY!BE. Avec une approche ouvertement très live, c'est, passé la mise en place de quelques minutes en miroitements d'accords, stridences et sifflements comme ces sifflements de missiles dans le ciel avant impact, c'est, passé ces premières minutes, un déploiement incroyable d'énergie, faits d'interminables crescendos qui n'en finissent plus d'ascensionner, qui s'arrêtent faussement pour mieux repartir, le déploiement d'une puissance organique et spontanée, livrée à grands coups de riffs répétés ad orgasmam, chapelure de saturation abrasive, de rythmiques militaires dansantes, martelantes et de lignes mélodiques sourdement orientales, très certainement démoniaques, sinon ténébreusement sexy. Ça fleure bon la poudre et la poussière, le sable et la cendre. Une horde de dromadaires, de tortues et de salamandres, armés de kalachnikovs rouillées, de grenades moussues et de kriss ondulés, caracolent à perdre haleine dans un pays sauvage, aride et désertique, à raboter, polir et sculpter des pyramides de roche et des tsunamis figés de dunes, à grandes giclées de napalm et de gaz moutarde à l'ancienne. Rarement la guerre n'a paru aussi cool.

De l'autre côté, il y a « We Drift Like Worried Fire », même taille, autre ambiance. Mais tout aussi excellent. Place aux angoisses insinuantes et aux tensions larvées. Subtilité d'arpèges et coulis lancinants de violon. Pizzicatos anxiogènes et cisaillements grinçants de guitares. Hurdy gurdy vibratile et mouchetures de glockenspiel. Les textures se veulent plus élégantes, riches, diaprées, quoique toujours empreintes de cet aspect organique qui fait la touche GY!BE : beauté inquiète. Attendant qu'une bombe atomique ne vienne les souffler de concert, Vulcain Parkinson et Mnémosyne Alzheimer se promènent dans les allées d'un parc venteux bordé d'anciennes gloires de sycomores. Entre des breaks qui tissent un climat de malaise, voilà des merveilles de crescendos qui crèvent le ciel crépusculaire ennuagé : puissante salve de lyrisme salutaire, la lumière du soleil est un tir de roquette tourbillonnant. Du GY!BE classique, comme on a pu en goûter sur Yanqui U.X.O ou sur Lift Your Skinny Fists Like Antennas to Heaven, mais toujours parfaitement maîtrisé et ici redoutablement efficace.

Les deux autres morceaux, d'une brièveté d'à peine six minutes, font figure de trou normand et de digestif. Déploiement de notes continues, drone, bourdons, nous voilà de plain-pied à la découverte des ruches canadiennes. Musicalement peu agréables, froids, à dessein. Sur « Their Helicopters' Sing », planant, bien que non dépourvu d'intensité, le chant des « pales d'hélicoptères », dans un inextricable lacis d'instruments, s'avère bien vite et très logiquement dissonant. « Strung Like Lights at Thee Printemps Erable » se veut plus sobre, avec ses nappes vrombissantes qui finissent toutefois par se perdre dans un magma de saturation. Deux trajectoires vers l'inaudibilité, comme un constat pessimiste à propos de l'air du temps.

GY!BE n'est jamais parti, son album n'est donc pas raté. Qu'importe de savoir si le post-rock est mort depuis longtemps ou si le groupe a été le seul valable du genre. On ne cherchera pas non plus à établir un classement de la discographie, à part le premier opus en demi-teinte, tout vaut son pesant d'or, n'en déplaise aux traumatisés de Pitchfork. Contentons-nous de souligner qu'il s'agit de l'album le plus court, ainsi que celui qui comporte le plus grand nombre de points d'exclamation dans son titre. Cela suffit très certainement à en prouver l'intérêt.
Quant à la suite, rendez-vous dans cinquante ans pour la prochaine tuerie du groupe !

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1. Mladic
2. Their Helicopters' Sing
3. We Drift Like Worried Fire
4. Strung Like Lights At Thee Printemps Erable



             



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