Venu du milieu folk, François Hadji-Lazaro découvre le punk au début des années 1980, au gré de ses aventures musicales dans la jungle parisienne. Il fonde le groupe PIGALLE en 1982, développe un rock brut et noir puisant son inspiration dans le quotidien désabusé du Paris populaire des années 80, celui des bars et des bistrots, des bordels et des lieux de débauche. Hyperactif, Hadji-Lazaro participe à la même époque au supergroupe LOS CARAYOS, en compagnie de Schultz (PARABELLUM), Manu Chao (HOT PANTS) et Alain Wampas (Les WAMPAS). Il faut croire que ces deux formations ne suffisaient pas à notre multi-instrumentiste : en 1985, François Hadji-Lazaro met sur pieds une troisième entité, les GARÇONS BOUCHERS. Avec ce nouveau groupe, François entend proposer un rock plus fun que la musique sombre et mélancolique de PIGALLE, à grand renfort de punk gras et d'arrangements ska festifs.

Au sein des GARÇONS BOUCHERS, François délaisse quelque peu le micro pour se concentrer principalement sur les guitares, sans pour autant négliger son impressionnante collection d'instruments divers et variés, qui sera utilisée ici aussi. Au chant, on retrouve donc la voix agressive et rocailleuse d'Eric Blitz, ancien skinhead venu de la scène oï! parisienne. Le reste du line-up est alors un peu hésitant : Daniel Hennion, bassiste de PIGALLE, partage ici le rôle de guitariste avec Blank Neige. Riton Escudier, ancien membre de PARABELLUM, est à la basse. Les rôles tournent en fonction des besoins, tout le monde enregistrant un peu de tout. Enfin, pas de batteur chez les BOUCHERS, François préférant pour l'instant reprendre la formule boîte à rythmes de PIGALLE. Lors de leurs premiers enregistrements, les GARÇONS BOUCHERS revendiquent un style punk ouvertement oï!, s'appuyant notamment sur la voix très particulière d'Eric Blitz. En 86, la première démo du groupe s'intitule "Speed Oï Music". Néanmoins, cette première étiquette ne va pas résister bien longtemps aux envies d'expérimentations de François, qui ne tarde pas à incorporer ses propres ingrédients dans la recette cannibale du combo parisien : harmonica, saxophone, violon, accordéon, et même une flûte traversière se retrouvent sur les premières compositions du groupe.

Le premier album éponyme des GARCONS BOUCHERS sort en 1987, quelques mois seulement après le premier LP de PIGALLE. Une version revue et corrigée de leur démo de 1986, bénéficiant d'un meilleur son et d'un enregistrement plus professionnel. Néanmoins l'agressivité initiale est bien là. Les BOUCHERS nous balancent ici un punk sauvage, rugueux, puissamment rigolard et décomplexé. Ça cause de filles ("Putain qu'elle est belle", "Punkifiée"), de bagarres entre bandes rivales ("Baston", "Fortes Têtes"), de beuverie ("La Bière"), et de délires festifs en tous genres ("S.K.A.G.B.", "Viens"). Sous l'influence d'Hadji-Lazaro, le groupe se permet également de revisiter quelques standards de la chanson française en les accommodant à la sauce punk. "Viens" est ainsi une réécriture punk des célèbres "Comédiens" de Charles AZNAVOUR, tandis que la "Marche de Ménilmontant" est évidemment une reprise de Maurice CHEVALIER.

Cependant, les principaux défauts de cet opus apparaissent. L'album jongle de façon hasardeuse entre des titres plutôt humoristiques ("Viens", "La Bière") et d'autres qui semblent un tantinet plus sérieux ("Noir et Blanc", "Chinatown", "Baston"). On n'a donc pas l'impression que le groupe sache réellement où il va, puisqu'il passe souvent du coq à l'âne sans réelle ligne directrice. C'est bien dommage, car ce détail mis à part, les arrangements sont de qualité et le son punk très costaud de l'album lui confère un capital sympathie immédiat. Globalement, le disque s'enferme un peu dans un univers punk convenu, qui ne sonne pas toujours juste : on a parfois l'impression qu'Hadji-Lazaro se force à écrire des textes naïfs et directs afin d'être le plus authentique possible. Ce qui rend par moments l'album un peu risible, à l'image de "Punkifiée" ou de "S.K.A.G.B.", où les thématiques punks sont superficielles. Quand on compare les textes de cet album avec ceux du premier opus de PIGALLE, la différence de qualité saute aux yeux. Heureusement, les GARÇONS BOUCHERS ne tarderont pas à affirmer leur propre identité dès l'album suivant !

Malgré ces maladresses de débutant, ce premier opus des BOUCHERS est parfaitement représentatif du style "alternatif" français de la fin des années 1980 : un copieux mélange de punk, de ska, de rock à cuivres, de textes humoristiques et d'auto-dérision, n'hésitant pas à construire des ponts vers d'autres styles musicaux et prônant l'expérimentation tous azimuts. Bien qu'il ait un peu mal vieilli, le premier album des GARÇONS BOUCHERS contient quand même quelques perles incontournables de leur répertoire, comme la célèbre chanson "La Bière", dont le refrain jubilatoire risque fort de devenir votre futur hymne de beuverie ! En dépit de ses nombreuses imperfections, il s'agit donc d'un classique du rock français des eighties, qu'on aura bonheur à réécouter régulièrement. Mais la suite sera heureusement plus aboutie... et bien plus méchante !

"LA BIÈRE... LA BIÈRE !! MAIS QU'EST-CE QU'ELLE A FAIT DE MOI LA BIÈRE ???"