Le trompettiste norvégien Arve Henriksen propose des œuvres difficiles à classer, multicolores, issues d'univers lointains et différents ; il suffit de citer quelques-uns de ses inspirateurs (Jon Hassell, Nils Petter Molvaer, Jan Garbarek, Don Cherry et Miles Davis) pour comprendre immédiatement qu'il est question là d'un jazz moderne qui va aller chercher sa matière dans la technologie contemporaine, notamment électronique, mais également dans le folklore d'une planète sans frontière, ouverte, métissée.

Produit par le label de Manfred Eicher, ECM, Cartography n'est rien d'autre que la mise en image d'un univers étrange dans lequel défilent des ombres et paysages japonais, des montagnes, landes et bois des pays nordiques, ou les terres ocres et orangées des plaines africaines et indiennes.

Ainsi, la trompette « hassellienne » sait se métamorphoser en flûte japonaise, alors qu'elle danse habituellement dans des volutes de lointains souvenirs, ceux d'une ascendance hybride, lorsque ses ancêtres chantaient selon la technique du Kirana Gharana.

Dans ce monde onirique, mystique, rassurant, étonnant, doucereux, d'un calme qui ne sera jamais pris en défaut, l'esprit rêve en permanence ; il survole maint décors naturels, fantomatiques, de jour, sous les nuits étoilées, ou des mégapoles endormies et illuminées au cœur de la nuit. Seuls quelques spoken words nous font croire que l'homme est encore bien présent dans ce monde qui semble échapper à l'attraction de la réalité.

La trompette murmure, chante à voix basse, souffle timidement, se fait discrète ou se tait, capte aussi la beauté de ce monde mi-réel mi-imaginaire ; jamais elle n'élève la voix. Des chants lointains sont portés par le vent ; proviennent-ils d'un autre monde ou d'une autre époque ? Difficile de se prononcer lorsque votre esprit comate, lorsque la conscience semble emprisonnée dans des contemplations rêveuses et des voyages qui vous « décorporent ».

La seule brutalité de cet album est celle de notre réveil, lorsque les 51 minutes, qui passent d'une traite, viennent de s'écouler et que le silence ou le bruit reviennent ; c'est alors le dur retour à la réalité et le choc du passage d'un monde à l'autre.