Playground est le second album sur le label ECM de Manu Katché. Il fait suite au très applaudi Neighbourhood, lequel avait été enregistré à Oslo. Playground a été quant à lui enregistré à New York en janvier 2007, toujours dans un froid glacial, les photos du livret montrant le quintet en extérieur et chaudement vêtu sont parlantes.

Sur Playground, Katché renouvelle sa collaboration avec Marcin Wasilewski (piano), Slawomir Kurkiewicz (contrebasse) mais Mathias Eick (trompette) remplace Tomasz Stanko, et Trygve Seim (saxophones) Jan Garbarek. Si le line-up est en partie modifié on retrouve toutefois sur cet album le style bien établi de Katché puisque celui-ci signe encore l'intégralité des compositions.

Si on retrouve donc les recettes qui ont fait le succès de Manu Katché il faut émettre malgré tout quelques observations : l'enregistrement est toujours impeccable mais la profondeur sonore est moins frappante que sur le précédent Neighbourhood. Mais surtout le jazz de Playground est ici bien plus calme dans l'ensemble, contenant bien plus de ballades, et la sensation pop s'atténue quelque peu ; de ce fait il est possible qu'une partie du public émerveillée par le côté très accessible du précédent album soit quelque peu déroutée en première impression. Ces quelques remarques émises, il est indéniable que Playground est aussi bien composé que son prédécesseur et que certains pourront même le préférer au précédent car ce n'est ici qu'une question de goût et non de qualité.

Playground démontre une nouvelle fois tout le talent de Katché en tant que mélodiste ; aucune composition ne perd l'auditeur en cours de chemin, toutes gardent leur intensité du début à la fin, toutes ont un thème bien identifiable autour duquel vont tourner les solistes ; le jazz de Katché c'est une attitude relaxante, une musique sans snobisme, qui ne s'apitoie pas sur elle-même, qui n'en fait pas des tonnes et touche toujours juste malgré son apparente simplicité (qui est fausse car cette musique est en réalité complexe).

Il y a beaucoup de tendresse dans la musique de Katché, et ce dès l'entame de l'album « Lo ». Les solistes n'élèvent pas la voix de peur de nous bousculer ; ils prennent leur temps et les fresques musicales se peignent et se découvrent sans heurt (« Pieces of Emotions » où le saxophoniste Trygve Seim est dans la continuité des peintures de paysages à la Jan Garbarek). « Song For Her » est une des plus belles pièces de l'album, le piano tombe en gouttelettes cristallines et muse ou flâne avant que le thème doucereux et mélancolique ne soit lancé par la trompette suave de Mathias Eick ; on a droit également à un beau solo sensuel de la contrebasse : superbe composition !

« So Groovy » nous sort de notre torpeur avec un thème énergique qui groove bien ; et une belle interaction entre la batterie de Katché, la contrebasse et le piano lors du solo enchanteur de trompette rattrapé par l'overdub, ce sont des superbes moments où on sent que tout décolle et passe à une strate supérieure, magique, que seul le jazz sait vraiment nous offrir.

Sans décrire l'ensemble des titres, on dira qu'on retrouve encore des constructions autour de riffs de piano « Inside Game », ou de trompette (« Snapshot » où le saxo peut nous rappeler celui de John Coltrane - ou de Garbarek dont un des principaux inspirateurs est Coltrane) ; des touchantes lamentations de saxo et de trompette, de concert, sur le superbe et lumineux « Possible Thought » qui pourrait nous faire penser à une pièce néo-classique dans son introduction quand on croit entendre une flûte ; cette musique, qui est introduite au piano, à la manière de « Witchi-Tai-To », raconte une histoire. « Clubbing » avec ses motifs répétitifs au piano possède un solo de trompette très post-bop. L'album se termine par une reprise de « Song for Her » avec la participation, à la guitare, de David Torn.

Note : 4.25/5.