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2013 Poetica - All Beauty Sleeps
 

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SOPOR ÆTERNUS - Poetica - All Beauty Sleeps (2013)
Par WATCHMAN le 27 Février 2016          Consultée 2335 fois

“Tout ce qui n’est pas déchirant est superflu.” C’est par cette phrase de l’écrivain et philosophe roumain Emil Cioran que l’on pourrait décrire le mieux l’état d’esprit d’Anna Varney sur ce disque. Ou plus précisément l’idée que la mystérieuse vocaliste se faisait à l’égard de l’interprétation à livrer pendant l’enregistrement. La vision prophétique d’une prestation emplie de pathos, à la dimension dramaturgique digne des grandes représentations théâtrales antiques.

Petit rappel biographique pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas Sopor Æternus. Il s’agit d’un projet (davantage qu’un groupe) de gothique néoclassique, créé vers la toute fin des années 80 à Francfort-sur-le-Main en Allemagne. Celui-ci est mené et incarné par le personnage d’Anna-Varney Cantodea, énigmatique vocaliste affichant de manière probante son côté transsexuel et laissant répandre la rumeur à son encontre d’un mode de vie d’anachorète misanthropique, mi-homme mi-femme, mi-ange mi-démon. En comptant les nombreuses raretés, collaborations et sorties à tirage très limité, Poetica – All Beauty Sleeps, qui paraît à l’automne de l’an de grâce 2013, est donc ni plus ni moins que la dix-neuvième offrande musicale de Sopor Æternus. Pour ce nouvel opus, notre âme damnée d’outre-Rhin a cette fois choisi de rendre hommage à la poésie d’Edgar Allan Poe.

Il y a des auteurs comme ça, dont une œuvre parvient, pour un album voire dans une moindre mesure une discographie, à inspirer des musiciens. Les exemples les plus marquants de ces vingt dernières années sont : AHAB (Herman Melville, William Hope Hodgson et aussi Edgar Allan Poe), MISANTHROPE (Charles Baudelaire), The GREAT OLD ONES et SULPHUR AEON (H.P. Lovecraft) et surtout les autrichiens de SUMMONING (J.R.R. Tolkien).
Le cas d’Edgar Allan Poe est extrêmement intéressant. Écrivain majeur des lettres américaines, son œuvre est polymorphe et foisonnante. Si on y compte des poèmes, des pièces de théâtre, des nouvelles, des contes et aussi des romans, celle-ci reste toutefois dominée par ses géniales “Histoires Extraordinaires”, qui préfigurent ce que seront le roman policier, le fantastique et la science-fiction. La traduction fabuleuse qu’en donna Charles Baudelaire en français a fait de cette œuvre une part de notre patrimoine national. Quant au mouvement gothique, il a toujours puisé son inspiration dans la littérature romantique du XIXe siècle, elle-même nourrie des douleurs, souffrances, idéaux, imaginations et envie d’ailleurs des écrivains et poètes qui s’inscrivaient dans cette mouvance. Il n’est donc nullement surprenant qu’un auteur de la trempe d’Edgar Allan Poe, non de par sa polyvalence et son côté visionnaire mais plutôt grâce à la mélancolie, l’onirisme et la spiritualité dont il imprégnait fortement ses écrits, ait pu éveiller l’intérêt de la sombre Anna-Varney.

La première piste démarre sur une mélodie de clavecin qui évoque bizarrement un air de boîte à musique. Pas de doute, on pénètre ici dans un monde à part. Une sorte de vieux grenier exhalant la poussière et les effluves de tranches de vies passées. L’impression se conforte dès le deuxième titre, avec une dimension horrifique supplémentaire. Portes qui grincent, cloches sinistres, atmosphère fantomatique,… On se croirait réellement dans un film de fantôme du type La Dame en Noir. Et ici le spectre n’est autre qu’Anna-Varney elle-même. Sur des airs fantasmagoriques de clavecin et de synthétiseurs mêlés, sonates hypnotiques résonnant tels des angélus funèbres, la chanteuse déclame les vers du poète américain avec un désespoir non feint. Le titre de la chanson “Dreamland” matérialise à lui seul toute l’ironie développée par le poète, car en lieu et place d’une invitation au pays des rêves on a davantage droit à quatorze minutes de souffrance communicative. Pas forcément le choix le plus judicieux et accrocheur pour ouvrir un disque ; mais la puissance du concept a ici au moins le moyen de déployer toute sa puissance et son ambition dès les premières notes.

Après recherches, nous nous apercevons que les deux titres qui enchaînent (“Eldorado” et “The Sleeper”) sont des réenregistrements de chansons datant respectivement de 2001 et 1999. Ne connaissant pas bien les versions antérieures, nous ne perdrons pas de temps avec les futiles comparaisons habituelles du style “c’était mieux avant” ou “c’est carrément meilleur ici” et laisserons l’auditeur seul juge. D’une durée assez courte (5’34, ce qui est plutôt short pour du Sopor Æternus), “Eldorado” s’apparente à une danse médiévale bien rythmée. Une sorte de volte avant l’heure où violons, cuivres et hautbois forment une fanfare insolite mais diablement efficace et cohérente. Quant à “The Sleeper”, il fait la part belle au clavecin et à la harpe, au milieu desquels un xylophone vient même taper l’incruste. Cela a toujours été une constante avec Sopor Æternus. Chaque titre fait montre d’une richesse musicale qui lui est propre, laissant apparaître des instruments que nous avons rarement l’occasion d’entendre. Ici, du début à la fin de l’album, nous avons véritablement l’impression que chaque famille est représentée. Cordes, vents, percussions,… Chacun tire son épingle du jeu pour émerger au moment opportun de cet insolite agrégat orchestral dont on ignore par qui il est dirigé. Tout comme nous ignorons le nombre réel de musiciens qui sont intervenus durant l’enregistrement. Mais peut importe le flacon puisqu’avec Sopor Æternus, c’est l’ivresse garantie. L’ivresse de sons originaux, uniques, intemporels. Une sarabande inclassable et séductrice qui tantôt nous assaille, nous agresse, nous caresse, mais surtout nous conquiert de par son audace et sa capacité à nous transporter dans des lieux uniques. Sous l’eau (“The City in the Sea”), dans les couloirs d’un manoir (“The Haunted Palace”), jusque dans le pays imaginaire de l’or (“Eldorado”), c’est ainsi tour à tour toute la féérie, l’angoisse, l’onirisme, la fantasmagorie, les interrogations et les divagations d’Edgar Allan Poe qui s’ouvrent à nous pour trouver, bien au-delà des mots, la fameuse invitation au voyage que se plaisait à évoquer notre Charles Baudelaire national. Peut-être l’un des plus grands et des plus fervents admirateurs de l’écrivain américain.

Et quid de la prestation d’Anna-Varney dans tout ça ? Bien plus qu’une simple interprète des vers et de la prose de Poe, cette dernière s’est littéralement imprégnée de son œuvre pour habiter chacune des compositions de tout son corps et toute son âme. Elle en a avalé la chair, digéré l’essence, et ceci afin d’en extraire la substantifique moelle qu’elle nous a servi sur un lit de lauriers. Les lauriers du poète ayant égalé le talent d’Apollon et régalé les oreilles de convives repus d’agapes dionysiaques sur les rives de l’Achéron et du Cocyte. Tour à tour récité, murmuré, susurré et pleuré ; calme, hystérique, triste, désespéré mais à chaque moment empli de sincérité, la voix d’Anna-Varney se pose sur chacune des compositions pour la guider, la faire vivre, lui insuffler une pulsation morbide et éphémère qui transcende véritablement le texte le temps de l’interprétation et qui trouve son apothéose dans les sanglots authentiques qui s’entendent sur le dernier titre. Avec le talent d’un Orphée sans sa lyre, en digne Calas des Enfers, le corbeau Anna-Varney trouve ici la plus tragique et la plus parfaite des conclusions à une œuvre exceptionnelle. Un hommage à la fois à la beauté dont les poètes sont les chantres, au désespoir dont ils sont souvent victimes et aussi au sommeil de l’oubli dans lequel basculent parfois leurs créations.

Un album pour l’éternité, parfaitement résumé dans ces vers d’Edgar Allan Poe, dont l’ombre plane de façon classieuse et majestueuse au-dessus de ce disque.

« Mais le corbeau, perché solitairement sur le buste placide, ne proféra que ce mot unique, comme si dans ce mot unique il répandait toute son âme. Il ne prononça rien de plus ; il ne remua pas une plume, jusqu’à ce que je me prisse à murmurer faiblement : « D’autres amis se sont déjà envolés loin de moi ; vers le matin, lui aussi, il me quittera comme mes anciennes espérances déjà envolées. » L’oiseau dit alors : « Jamais plus ! »
Le Corbeau, 1845 (trad. Charles Baudelaire, 1853).

Note réelle : 6/5

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- Anna-varney : Vocals


1. 1. The Oblong Box
2. 2. Dreamland
3. 3. Eldorado
4. 4. The Sleeper
5. 5. Alone
6. 6. The Conqueror Worm
7. 7. Alone (2)
8. 8. The City In The Sea
9. 9. The Oblong Box (2)
10. 10. The Haunted Palace
11. 11. A Dream Within A Dream



             



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