Oublié depuis des lustres, le countryman Carl SMITH figure parmi les meilleurs hitmaker des années 50, un poil derrière Eddy Arnold, Webb Pierce et Hank Snow. Originaire de Maynardsville, une bourgade perdue du Tennessee, au nord de Knoxville, Carl se met à la guitare dès 7 ans. Plusieurs paramètres reviennent souvent lorsqu’on aborde le Hillbilly fifties : la majorité de ces jeunes péquenots (n’y voyez aucune allusion péjorative) est issue de bleds perdus, souvent de parents fermiers qui tentent péniblement de joindre les deux bouts. Examinons brièvement son parcours: il commence à 7 ans, maîtrise l’instrument à 10 et monte un premier groupe local qui se produit dans les écoles et les kermesses. A 13 ans, le gamin remporte le concours "All Stars Of Tomorrow". A cette époque, ce genre de concours pullulait sur les ondes américaines. Il est amusant de constater que nos excellentes chaînes de télévision françaises font de même et qu’il se trouve apparemment quelques badauds pour s’attarder devant "The Voice" et consorts, preuve que le monde ne tourne pas si rond qu’on le dit.

Comme beaucoup de jeunes américains, Carl participe à l’effort de guerre en étant incorporé dans l’U.S. Navy. A sa démobilisation en 1946, il reprend sa guitare, bien décidé à faire carrière. Mais l’ancien soldat va vivre quelques années de désillusion, ne parvenant à se produire que dans des radios locales ou les bars honky tonk, parfois en compagnie des BREWSTER Brothers. Il se fait remarquer par Jack Stapp, un des grands manitous du Grand Ole Opry, qui lui permet de se produire au Ryman Auditorium. Inconnu ou presque avant ce coup de pousse, Carl décroche un contrat avec Columbia en 1950 et aligne son premier succès "Let’s Live A Little" l’année suivante. Encouragé par Hank WILLIAMS et Ernest TUBB avec lesquels il participe à de nombreuses tournées, Carl va enquiller les hits (une dizaine de Top 40).

Le garçon se marie avec June CARTER en 1952 et divorce cinq ans plus tard. June rejoindra Johnny CASH, un compagnon de beuverie de son ex, tandis que Carl convole en juste noce avec la chanteuse Goldie HILL. C’est pas sympa la Country ? En 1956, il quitte le Grand Ole Opry et rejoint le Philipp Morris Country Music Show, joue dans quelques films, et devient présentateur à la télévision, tout en poursuivant sa discographie. Puis il se retire en 74 dans son ranch et se transforme en gentleman farmer. Smith ne quittera veaux, vaches, cochons, et surtout ses chevaux, que pour des enregistrements sporadiques.

Certains se montreront sûrement sceptiques à l’écoute de cette compilation. Il faut dire que la série "Gonna Shake This Shack Tonight" nous avait habitués à des répertoires plus énergiques, disons-le tout net moins "mous du genou". Remarquez, le répertoire de Carl SMITH a aussi du bon, on ne risque pas de se casser une patte en dansant un Hillbilly Rock frénétique… il n’y en a pas. Il fait plutôt dans la dentelle. Ici, la musique dont il est question consiste en une combinaison de Hillbilly, de Honky Tonk, de ballades et de zestes de Western Swing. Du péquenot classique! Sur les 34 plages de cette compilation, les occasions d’attraper un lumbago en faisant valdinguer sa partenaire sont rares. "Hey Joe !" laissait pourtant présager de bons moments, même si ce sont les guitares de Velma E. Williams Smith (une formidable accompagnatrice) et de Samuel K Pruett qui allument la flammette.

Ne soyons pas mauvaise langue : quelques titres parviennent à nous tirer de notre léthargie : "Baby I’m Ready" un tonk roll mid tempo, "If Teardrops Were Pennies" avec Grady Martin et Hank Garland aux guitares, "Why, Why" avec les JORDANAIRES (qui finissent pas s’endormir). "Cut Across Shorty" et "A Love Was Born" rappellent Johnny HORTON mais sans la tension que pouvait dégager l’Honky Tonk Man. Gardons le pire pour la fin avec "Time’s A Wastin" chanté en duo avec June CARTER, titre obsolète, vieux comme Mathusalem et triste… et la tristesse rend vieux (quel cercle vicieux!).

Ne cherchons pas d’excuse là où il n’y en a pas : hormis 6 ou 7 titres, cette compilation ne casse vraiment pas trois pattes à un canard et s’avère aussi vieillotte que soporifique. A réserver uniquement aux fondus de Hillbilly Old Time. On se demande ce que sont venus faire ici Hank Garland, Grady Martin et le batteur Buddy Harman … Gagner un peu de sous comme sessionmen ! Carl SMITH a rejoint les tendres pâturages en 2010.