Y-a-t-il un nom pour ce genre d'album ? Il s'agit de comptines folk, oui, mais ce deuxième album de Marie-Annick LEPINE est tellement plus. 9 ans après une première escapade solo, la multi-instrumentiste des COWBOYS FRINGANTS propose un nouvel opus, quelques mois après la sortie du très convaincant "Octobre" publié par son groupe principal. Dans ce long intervalle, la vie de la musicienne a considérablement changé, puisque, en couple avec Karl Tremblay (chanteur des COWBOYS), elle est maintenant deux fois maman. Sa musique se retrouve considérablement affectée par cette double maternité. En effet, si l'on retrouve cette tendresse et cette douceur qui sont partie intégrante de la personnalité de l'artiste, son deuxième album est profondément marqué par cette envie, ce besoin, de proposer une musique chaleureuse et rassurante, comme un cocon protecteur préservant ses enfants d'un environnement, si l'on en croit les médias, peu propice à l'épanouissement et à l’insouciance.

Les comptines, ou plutôt Les petites histoires ici présentées, parlent à tout le monde. Aux parents accomplis, à ceux qui souhaitent le devenir, aux célibataires sans progéniture et, bien sûr, aux enfants. La beauté de la musique proposée par l'artiste est universelle, car elle est un vecteur d'émotions et de sentiments à la fois délicats et doux-amères. Marie-Annick s'adresse, c'est une évidence, en premier lieu à ses enfants, mais propose des niveaux de lecture différents, et les textes subtils peuvent parler à tout être doté d'un coeur en état de fonctionner.

Sur une base folk, la chanteuse pose sa voix aiguë et apaisante sur des titres d'une grande beauté. Sur une base folk constituée d'une guitare, d'un violon, parfois d'un piano et d'un accordéon, Marie-Annick raconte des tranches d'une vie cabossée, des moments de plénitude, des odes à ses enfants ("Ma jolie blonde") et les mots choisis, simples, témoignent de cette volonté d'universalité. Les ambiances se font parfois guillerettes ("Salut la lune"), mais les musiques restent le plus souvent dans des tempos lents qui provoquent un délectable apaisement. Sur "J'ai brodé mon coeur", les mots qui deviennent poésie s'envolent et se posent sur notre épaule, susurrent à notre oreille un texte flamboyant d'amour et d'humanité, dont l'impact est renforcée par cette combinaison réussie entre guitare acoustique et piano doucereux.

La mélancolique "Il neige sur la mer", "La Traverse", aux allures de conte initiatique (quelle belle déclaration d'amour maternel !), ou encore l'intime et chaleureuse "Valse qui console", sont bouleversantes de beauté. "Ours noir ours blanc", qui voit Karl Tremblay pousser la chansonnette avec sa compagne, est une belle ode à l'amitié qui s'adresse à tous les âges. Petite souris, qui clôture l'album, vaut autant pour son texte plus imagé que pour sa mélodie folk dont les intonations mélancoliques ne peuvent laisser insensible.

Une chaleur nous envahit, tandis qu'une ambiance douce-amère, à la fois joyeuse et empreinte de tristesse, s'étend sur l'album. J'ai Brodé Mon Coeur fait appel à notre intelligence, et se fait ainsi exigeant. Ces fausses comptines, ou plutôt ces véritables comptines, s'adressent aux enfants comme à des êtres dotés d'une sensibilité et d'une intelligence et, ce faisant, se font à la fois intimistes et universelles. Un album finalement à l'image de l'artiste, dont la grandeur d'âme n'a d'égal que le talent. Une splendeur.

4,5/5