Tuer, mourir, recommencer. Tuer, mourir, recommencer. Encore, encore, et encore. Lorsqu'un jeu pousse aussi loin le concept du "die & retry", concept aussi vieux que le média lui-même, il lui faut trouver un moyen de ne pas lasser le joueur et de le motiver à affronter une nouvelle partie. HOTLINE MIAMI a sa propre solution, simple mais brillante : hypnotiser le joueur grâce à sa musique, pour mieux le plonger dans une transe meurtrière dont il ressortira hébété et avec quelques doutes sur sa nature d'humain pacifique.

Alors que les deux développeurs suédois Jonatan Söderström et Dennis Wedin approchent de la complétion de leur jeu, ils se rendent compte qu'ils n'ont plus aucun budget à allouer à la musique, et certainement pas de quoi s'offrir les services d'un compositeur. Ils ont alors la bonne idée d'aller fouiller dans la malle au trésor de Bandcamp, site encore relativement inconnu en ce début de décennie 2010. Tels deux Tarantinos vidéoludiques, ils sélectionneront quelques morceaux chez une demi-douzaine d'artistes différents pour habiller leur univers barjo et ultra-violent, demandant la permission de les utiliser gratuitement contre la promesse d'une éventuelle mise en lumière si le jeu venait à rencontrer le succès. Ce qui fut largement le cas, et la bande originale reçut moult éloges au passage.

L'action se déroule dans le Miami de la fin des années 80, où les trips à l'acide côtoient gaiement les meurtres de masse. Le duo a donc logiquement choisi des morceaux de musique électronique aux influences rétro, allant de l'acid house à la synthwave, en passant par l'ambient expérimental. Les morceaux plus rythmés servent de fond sonore aux exactions du protagoniste lors des phases de jeu, tandis que les titres plus calmes – mais aussi les plus sombres – apportent leur atmosphère pensante aux parties scénarisées.

Le thème du menu principal "Horse Steppin'", soit la première musique entendue par le joueur, est l’œuvre du musicien expérimental Sun ARAW. Ce morceau planant qui superpose guitares éthérées, nappes de synthés et voix réverbérées est parfait pour plonger le joueur dans l'ambiance décalée du jeu. Il signe également "Deep Cover", une sorte de rock stoner psychédélique complètement déglingué, que l'on peut entendre lorsque le protagoniste évolue dans son appartement, et qui représente à merveille son état mental plutôt désaxé. On peut aussi noter l'ambient malsain de "Silver Lights" signé par CoConuts et qui apparaît lors des phases de cauchemar du personnage principal, ou encore l'atmosphère feutrée du "Daisuke" d'El Huervo, dont le travail sur les basses et les percussions rappelle parfois celui de GORILLAZ.

L'acid house minimaliste de M|O|O|N est quant à elle un exemple parfait du morceau lassant à l'écoute, mais qui se révèle incroyablement hypnotique en plein jeu. Les quelques boucles de basse et de synthé, répétées ad nauseam, brouillent les repères temporels du joueur qui se perd dans le labyrinthe de ses parties successives. Les titres signés par Scattle et PERTURBATOR sont plus riches et mélodiques, mélangeant house, synthwave et électro-pop pour créer un cocktail explosif s'accordant parfaitement au rythme très élevé du jeu.

La bande originale d'HOTLINE MIAMI est une franche réussite, et nul doute qu'elle a joué pour beaucoup dans son triomphe critique et commercial. Difficile d'imaginer le jeu sans, tant elle colle parfaitement à son imaginaire glauque et décalé. Un succès qui démontre la qualité que peuvent atteindre certains artistes indépendants, et combien les initiatives telles que Bandcamp sont bénéfiques à l'industrie musicale et au monde de la musique en général.