Premier jet pour les Tennessee Drifters. Avec une telle pochette, on a peu de risque de se tromper sur la marchandise, il ne peut s’agir que de White Blues, de Folk ou de Protest Song ou plus vraisemblablement de Hillbilly. La représentation fait référence aux années dures que traversèrent les Etats-Unis, la Crise de 1929 qui s’étala jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale, malgré le New Deal de 1933. Remarquez, malgré ces temps de récession, les « péquenots » n’ont pas l’air si malheureux. Dans sa rutilante automobile, Madame semble se mettre à l’abri de la guitare de son « bouzeux » de mari. En regardant de plus près, on pourrait croire que notre guitariste a piqué la panoplie vestimentaire d’Hank WILLIAMS, première star de la Country décédée le 1er janvier 1953. En analysant tous les indices de la pochette, il ne fait guère de doute qu’on a affaire à un répertoire Redneck.
Manque de pot, comme le chantait Bo Diddley « You Can’t Judge A Book By Its Cover », le visuel est à moitié trompeur. Alors, il s’agit bien d’un album de Hillbilly, mais nos Tennessee Drifters ne viennent pas du Tennessee mais de Suède, où le groupe s’est formé en 2003. La pochette intérieure de ce digipack propose un petit clin d’œil au film « O Brother », les portraits des trois larrons pourraient assurément remplacer Clooney, Turturo et Nelson si une suite devait être réalisée. Quelles gueules !

Le nom du trio fait référence au premier groupe de Johnny CASH, The Tennessee Two. Et justement, du Johnny Cash il va en être largement question ici puisque sur les quinze plages, le trio reprend neuf morceaux chantés ou composés par The Man In Black. Le répertoire nous plonge donc en plein Hillbilly tendance Rockin’. A l’instar des premières années discographiques de Cash, les Tennessee Drifters évoluent sans batterie avec juste une contrebasse tenue par Tennessee Mike, une guitare électrique (Big Andy) tandis que Mr. Black officie au chant et en acoustique rythmique. La sonorité se rapproche donc de la glorieuse époque durant laquelle Cash chantait en compagnie de Luther Perkins et de Marshall Grant.
Nos scandinaves reprennent certains standards cashiens : « I Got Stripes », « I Was Jesus », « Understand Your Man », Numéro Un des classements Country en 1964 et dont la mélodie lorgne dangereusement sur le « Don’t Think Twice, It’s Allright » du sieur DYLAN. Le trio nous offre une version respectueuse de « Ring Of Fire », titre repris par une kyrielle d’artistes et nos suédois renvoient dans leur but les tentatives d’Allison Maurer, Blondie, Billy Burnette ou de Ray Charles qui frisaient toutes l’imbuvable. La période Sun Records n’est pas oubliée avec « Mean Eyed Cat », « Story Of A Broken Heart » et « Guess Things Happen That Way » titre agrémenté par la présence sobre d’Anders Rane aux ivoires.
Nos péquenots suédois ont plus d’une corde à leurs arcs et ne se contentent pas de reprendre uniquement du Johnny Cash. Ils s’attaquent à Carl PERKINS avec « Daddy Sang Bass » un ancien numéro 1 dans les charts country de 1968 et nous offrent une ballade tonk de Hoyd Johnson « You’re The Nearest Thing To Heaven ». Les péquenots sont parfois coquins, ce morceau était aussi paru en single sous le titre de « It’s Little More Like Heaven » mis en boite par Hank Locklin pour la RCA. On ignore encore si ce vol de titre s’est réglé à coups de colt ou autour d’une pinte.
Parmi les autres reprises, les Tennessee Drifters se montrent à leur aise sur l’entraînant Rockin’ Tonk « One Woman Man » de Johnny HORTON, idem pour « Settin’ The Woods On Fire », un Honky Tonk d’Hank Williams. La reprise de « Walk On By », une ballade à succès de Leroy Van Dyke, s’avère convaincante et respectueuse de l’originale, la guitare de Mr Black parvient à faire oublier le phrasé si reconnaissable d’Hank Garland. « I’m Movin’On », gros carton d’Hank Snow basé sous la forme d’un 12 mesures Blues, a été repris à toutes les sauces (du country trucker Dave Dudley, aux STONES en passant par ELVIS, Timi Yuro, Tina TURNER, George THOROGOOD) l’exemple même du morceau archi rabâché, et les suédois parviennent néanmoins à éveiller l’attention. Autres bonnes pioches avec « I Wasn’t Drunk (I Was Just Drinkin’) », œuvre de Stratovarius un groupe de Cow Punk Metal, se retrouve transformé en un country truck du meilleur effet. Le groupe rend également hommage à son leader Mr Black avec « I’ll Miss You », une interprétation cashienne de Jack Baymoore & The Bandits (alias Mr Black).
Produit sans surenchère, cet opus enregistré au Vintage Loft Studio d’Anders Rane, nous renvoie 60 ans en arrière en plein territoire Hillbilly. On appréciera (ou pas) le vocal de Mr Black aux intonations très Cash, et le phrasé de guitare rappelant Luther Perkins. Malgré un nombre important de reprises, cet album sincère et authentique témoigne de la richesse de la scène scandinave en matière d’Hillbilly et de Rockabilly. Jack Baymoore est l'une des figures de proue du rockab suédois au sein des Bandits,formation programmée dans les plus gros festivals Rockab et Hillbilly de la planète.

PS : La pochette est issue d’une photographie de Russell Lee, un photographe journaliste, prise pour le Farm Security Administration (FSA), un organisme créé en 1937 dans le but d’aider les fermiers les plus pauvres durant la Grande Dépression et démantelé en 1943.