Combien de groupes n'ont pas réussi à donner suite à un premier album génial, écrasés par la pression combinée du public et de la critique ? Combien ne surent pas être à la hauteur, tombant dans la médiocrité, voire dans un silence total ? Demandez donc à The LA'S… Et lorsque le disque en question a été désigné comme, excusez du peu, « le meilleur premier album de tous les temps », le défi se révèle être à la limite de l'impossible. Malgré tout, les STONES ROSES l'ont fait. Preuve de leur formidable talent (s'il en fallait encore une), Second Coming est pourtant loin d'avoir connu une gestation de tout repos.

Ceux qui s'attendent à retrouver les guitares aériennes, la pop psychédélique et les sonorités « sixtes » du premier opus risquent d'être déçus. Car Second Coming voit les STONES ROSES évoluer vers le hard-rock, et même un sacré bon hard-rock. Pas convaincu ? Sautez directement à la deuxième piste, « Driving South », et admirez ce riff puissant et cette batterie entêtante. Quelqu'un a écouté un peu trop de Led ZEPPELIN ! Le coupable n'est nul autre que John Squire, le guitariste de la bande, et grand amateur du Zeppelin de plomb. Toutefois, cette nouvelle orientation stylistique est loin de faire l'unanimité au sein même de la formation. Ian Brown déclarera à ce propos : « Led Zeppelin n'a pas de plombiers, de maçons, de criminels ou de lesbiennes dans son public. Nous si – on a potentiellement le monde entier » (1).

Mais le monde, il ne l'auront pas. Comme par un fait exprès, les soucis s'empilent les uns sur les autres et retardent la production d'un second opus. Après un procès qui dure presque deux ans, les STONE ROSES se retrouvent sans manager. John Squire et Ian Brown fondent tous deux une famille, ce qui sépare un peu plus les membres les uns des autres. Ajoutez à cela les dissensions entre Squire et Brown, l'un voulant faire un album sombre qui serait comme la face cachée du premier opus lumineux, l'autre préférant les musiques joyeuses et entraînantes, et vous obtenez le cocktail parfait d'un échec quasi inévitable. Il serait faux de dire que l'album ne pâtit pas du manque d'unité artistique des STONE ROSES : à l'image de sa pochette, Second Coming a un côté brouillon, dispersé, schizophrène presque, dans sa manière de juxtaposer hard rock et pop psychédélique quasiment sans transition. Mais ces défauts sont largement supplantés par la qualité indéniable des compositions.

L'influence de LED ZEPPELIN plane sur tout l'album : on y trouve des compositions basées sur un riff répété ad nauseam (« Driving South », « Love Spreads »), typiques des débuts du Zeppelin, ainsi que des morceaux-fleuves qui évoquent la période House Of The Holy (« Tears »). La plupart des chansons sont faites pour mettre en avant la guitare : on sent clairement l'influence du jeu agressif de Jimmy PAGE dans les solos de « Tears » et de « Good Times » (un clin d’œil à « Good Times Bad Times » ?). Ces aspirations prennent parfois le pas sur la cohésion des morceaux : alors que l'album éponyme était clairement un effort de groupe, ici la guitare de Squire semble parfois cannibaliser le chant de Brown. Mais lorsque les influences hard-rock arrivent à fusionner avec le penchant du groupe pour l'acide, cela donne quelques petites perles, telle l’hypnotique « I'm Begging You » (qui fait vaguement penser à du CURVE), ou encore le très bon « Love Spreads ». Dommage que cet alliage ne fonctionne pas toujours parfaitement : le ventre mou de l'album se situe dans des morceaux comme « Straight To The Man » ou « Daybreak », qui, sans être mauvais ni même ennuyeux, manquent de cette fièvre qui exaltait les morceaux du premier album.

Toutefois, Second Coming reste un album des STONE ROSES, et les guitares lumineuses de « Tightrope » font des merveilles pour éclaircir un peu la tracklist. Dans le genre pop épique, « Breaking Into Heaven » n'a rien à envier à « I Wanna Be Adored » (il faut toutefois faire abstraction de son introduction inutilement longue). Et que dire de « Ten Storey Love Song », si ce n'est qu'il s'agit d'une des meilleures chansons du groupe, et qu'elle n'aurait pas dépareillé sur le mythique album éponyme ? Non décidément, de même que The Stone Roses est régulièrement surestimé, son successeur est trop souvent injustement négligé.

Second Coming sort en décembre 1994, mais il aurait presque pu sortir vingt ans plus tôt, tant sa musique est anachronique dans le contexte de l'époque. Coupé de la scène anglaise pendant cinq ans, le groupe revient dans un monde transformé. La britpop est en explosion, OASIS a enflammé le pays tout entier et semble bien décidé à conquérir le reste du monde dans la foulée. Pour de nombreux musiciens qui montent, les STONE ROSES sont un groupe culte et une source d'inspiration certaine, mais qui appartient décidément au passé. « On avait commencé en voulant détruire les dinosaures du rock et on était devenus les dinosaures » (1), résume Ian Brown.

L'album sera toutefois plutôt bien accueilli, et les quatre mancuniens partiront en tournée mondiale. Mais il y a longtemps que les Roses de pierre se sont fanées : trois mois plus tard, John Squire quitte le groupe. Après s'être ridiculisé en chantant faux devant 30 000 personnes, Ian Brown réalise que c'en est bel et bien fini des STONE ROSES. Le groupe s'autodétruira en envoyant une démo atroce à son label, et Brown, après s'être remis du choc, poursuivra une carrière solo acclamée.

Les STONE ROSES : un groupe décidément unique en son genre, à la carrière aussi étrange que mouvementée, mais qui a sans conteste posé une pierre essentielle dans l'édifice du rock anglais.


(1) : citations tirées du chaotique mais néanmoins très intéressant livre de John Robb, « Manchester Music City ».