GRANT LEE BUFFALO est un trio originaire de Los Angeles qui officia dans les années 90, en proposant un mélange assez original de folk, britpop, americana, glam et rock alternatif ; on peut y déceler quelques échos de R.E.M. et de Neil YOUNG. Leur univers sonore est peuplé de guitares acoustiques à 12 cordes, de pianos poussiéreux et de percussions vaguement tribales. Parfois, une guitare électrique vient gémir un solo (« Fuzzy ») ou apporter un peu de tranchant à la rythmique, comme sur « America Snoring » qui rappelle le style des AUTEURS.

Le son de GRANT LEE BUFFALO est celui d'un glam dépouillé de ses colifichets, réduit à son expression la plus simple, sans avoir perdu pour autant son esprit de décadence, tel un dandy en haillons. La voix de Grant-Lee Phillips, à la nonchalance étudiée, est parfaite pour poser l'ambiance sombre et introspective des chansons. Légèrement traînante et langoureuse, mais sachant se faire puissante et expressive quand il le faut : ce n'est pas pour rien que le bonhomme fut élu meilleur vocaliste de l'année 1994 par le magazine Rolling Stone.

Toutefois, lorsqu'on fait abstraction de la richesse minutieuse du son et que l'on se penche sur les structures des compositions, on constate qu'elles sont assez rudimentaires – ce qui ne veut pas dire qu'elles ne sont pas réfléchies. Grant-Lee hypnotise l'auditeur en faisant brillamment usage de la répétition, par exemple celle d'une unique phrase sur le bridge de « Star 'n' Stripes ». Le procédé rappelle un peu certaines chansons de Bob DYLAN, basées sur des boucles répétitives de musique ou de texte.

Si les morceaux tiennent debout malgré leur relative simplicité, c'est aussi parce qu'ils sont bourrés d'excellentes mélodies. D'ailleurs, leur absence se fait cruellement sentir sur « Grace », le seul morceau raté de l'album : trop long et vite ennuyeux, faute d'un air auquel se raccrocher. Le reste de l'album, par contre, est excellent. « The Shining Hour » ouvre l'album avec une énergie à la fois pop et ténébreuse, digne de SUEDE ; tandis que « Jupiter And Teardrop » et « Fuzzy » représentent le côté plus calme du groupe, atmosphérique sans jamais être lassant, grâce au charisme de Grant-Lee Phillips. « America Snoring », « Wish You Well », « The Hook », presque tous les titres mériteraient en fait d'être cités car chacun possède une spécificité, que ce soit dans le travail sonore – dû notamment au bassiste, Paul Kimble – ou dans l'écriture proprement dite.

Plus les écoutes s'enchaînent, plus on réalise que le groupe a vraiment réussi à trouver un équilibre idéal entre simplicité et sophistication. Le côté direct et « pop » des chansons rend l'album très accessible, invitant l'auditeur à explorer plus avant l'univers gothique et désenchanté du groupe. Il faut dire que les trois musiciens sont loin d'être des novices puisqu'ils avaient déjà deux LP derrière eux, commis sous le doux nom de SHIVA BURLESQUE. Cela se ressent dans l'assurance qui transpire de toutes notes : avec Fuzzy, le trio a atteint une dynamique quasi-parfaite, en faisant l'album le plus agréable de sa trop courte discographie. Le disque baigne dans une imagerie américaine, rendant hommage à son histoire et à ses idoles (« The Shining Hour »), sans se priver d'une critique acide de ses déviances (« Stars 'n'Stripes », « America Snoring »).

Avec toutes ces qualités, difficile de comprendre pourquoi le groupe n'a connu que si peu de succès auprès du grand public. Peut-être aurait-il mieux marché en Angleterre dont le public est en général plus réceptif à ce genre de musique, une hypothèse confirmée par le fait que Fuzzy monta relativement haut dans les charts anglais. En tout cas, GRANT LEE BUFFALO aura au moins eu la consolation d'être un favori des critiques, un titre pour une fois amplement mérité.