Soyons honnêtes, le succès a toujours pris un malin plaisir à fuir Tommy BLAKE, mais le bonhomme peut (pouvait serait plus juste, le bonhomme étant décédé en 1985, on y reviendra) se targuer d’avoir enregistré quelques faces pour Sun Records, la célèbre petite maison de disque de Memphis fondée par Sam Phillips.

Revenons brièvement sur le parcours de cet énergumène aujourd’hui oublié de tous. Thomas Levan Givens naît en septembre 1931 à Dallas. Rejeton illégitime, il ne connaît pas son père et sera élevé par sa mère. Durant son adolescence, le garçon rencontre quelques problèmes avec la justice américaine qui finit par lui mettre le grappin dessus pour une sordide histoire de viol. Enrôlé chez les Marines à vingt ans, le bon Thomas se fait vite éjecter : il ne voit que d’un œil. Plus tard, le chanteur racontera, à l’instar de notre Mère Michel qui avait perdu son chat, qu’il a perdu son œil en combattant en Corée. Faut avouer que ça fait plus fun !

Démobilisé pour handicap, il fait ses premiers pas comme disc-jockey et accompagnateur pour diverses petites radios louisianaises et texanes. Il se marie et devient rapidement le géniteur de six bambins. C’est en tombant nez à nez devant le bus de tournée de Faron Young, que le bonhomme décide qu’il est grand temps pour lui de devenir une vedette. Il disparaît aussi sec pendant près de deux mois, laissant veau, vache, cochon (Non il n’a qu’une épouse et six enfants) pour courir après la gloire qui s’entête à le fuir. Le chanteur fait alors équipe avec le guitariste Carl Adams, le bassiste Eddie Hall et le batteur Tom Rupple. Il enregistre un petit single pour le label Buddy avec les Rhythm Rebels et passe en première partie de Johnny Horton, Johnny CASH et Tommy Sands. Notre ancien combattant commence à se faire un nom, il se produit à la Louisiana Hayride et au Grand Prize Jamboree de Houston et devient la vedette de la KRUS, une petite radio de Ruston, camp de base du groupe.
En 1957, notre chanteur guitariste qui évolue sous le nom de Tommy BLAKE enregistre quatre titres pour la RCA, mais seules deux chansons apparaissent en single. Le bonhomme avait enregistré « The Honky Tonk Mind », mais manque de pot c’est Johnny HORTON qui décroche le jackpot en ayant mis en boîte le titre quatre jours auparavant. Déçu, BLAKE tente une action en justice. Echaudé par ce fauteur de trouble, Chet Atkins, l’un des grand manitous de la RCA, décide de ne pas le reconduire en studio afin d’éviter tout problème. Durant l’été 57, BLAKE tente sa chance chez SUN qui décide de publier les deux titres gravés par notre frondeur. L’année suivante, Blake participe à trois sessions au studio Sun gravant au passage 13 titres, mais un seul single sortira cette année-là.
La suite n'est guère enthousiasmante. Notre guitariste vogue d’échec en déception. Il enregistre une poignée de singles jusqu’en 1967 pour de petits labels (Recco, Chancelor, 4-Star, Aetna, Bragg, Musicor et Paula) parfois sous le nom de Van Givens sans connaître le moindre succès.
Durant les années 60/ 70, Tommy Blake compose de belles chansons pour les autres (Patsy Cline, Eddy Arnold, Ernest Tubb, Jim Reeves, Tammy Wynette, Charlie Walker ou Debbie Reynolds) dans des registres Country ou de musiques populaires. En 1972, victime de ses excès, le guitariste subit une première crise cardiaque. Le parcours musical de Tommy BLAKE s’arrête définitivement à la veille de Noël 1985. Rentrant chez lui sous l’emprise d’alcool et de substances prohibées (le bonhomme n’a jamais digéré ses multiples échecs), il s’en prend à sa femme (sa 3ème) Samantha en train de décorer le sapin. C’est une habitude chez cet adepte de la violence conjugale, mais ce sera la dernière fois que cet auto destructeur s’en prendra à son épouse, cette dernière utilisera un moyen radical pour mettre fin à son calvaire : un grand coup de gun dans les gencives*.

Si certains titres de Tommy BLAKE figuraient dans diverses compilations de Rock'n'Roll et de Rockabilly, aucun album n’avait fait l’objet d’une publication, hormis un bootleg White Records regroupant quatre titres de Blake et 14 de Gene Wyatt. L’oubli est ainsi réparé avec cette compilation de 29 titres.
Le compilateur regroupe présentement 10 inédits (dont 4 alternates Sun) agrémentés des faces Buddy, RCA et Recco. Les influences Hillbilly sont ici clairement palpables. Mais Tommy BLAKE pouvait aussi se transformer en redoutable rocker. Parmi les meilleurs passages citons « Flat Foot Sam » préalablement enregistré par TV Slim pour le label Chess, « Koolit » avec vocal syncopé, l’excellent Tonk Roll « Honky Tonk Mind (The Woman I Need) » pas loin de valoir l’énorme version de Johnny HORTON. Mais le temps d’une session, le guitariste pouvait interpréter des titres rappelant les grandes vedettes du Rockab : « I Dig You Baby », « You Better Believe It », « Cool Alligator », « Lordy Hoody » ou « Shake Around ». Les amateurs d’Hillbilly louisianais devraient être comblés à l’écoute de « If I’m A Fool » ou « My Alice Faye ». Notre rocker savait aussi faire preuve de tendresse, la preuve avec les ballades « Window Of My Heart », « Little Lovelight », « I Still Love You » ou « Ballad Of A Broken Heart » fortement influencée par Johnny CASH.

Agrémentée d’un excellent livret intérieur de 36 pages, cette compilation permet de découvrir (ou redécouvrir) un second couteau malheureusement auto-destructeur dont le registre mêle Rockab, Hillbilly, Rock'n'Roll et ballades.

*Il existe plusieurs versions sur la mort de Thomas Blake, mais une chose demeure certaine, Samantha auteure du coup de feu sur son mari n’a pas été condamnée par la justice.