Si le registre Zydeco témoigne d’une musique festive mélangeant diverses influences normalement dédiées à la fête, à la dance et aux rencontres, c’est avec tristesse que je démarrerais cette modeste chronique. Stanley Dural Jr., alias BUCKWHEAT ZYDECO*, est décédé le 24 septembre, à 68 ans, d’un cancer du poumon. Si ce claviériste accordéoniste pouvait se targuer d’avoir une bonne côte auprès de la presse spécialisée, il convient d’avouer qu’en matière de Zydeco ce dernier demeurait assez éloigné du niveau des grands maîtres Clifton Chenier, Boozoo Chavis, Rockin’ Sidney ou John Delafosse, la faute à des racines créoles nettement profondes. Effectivement, Buckwheat aura toujours été plus ou moins influencé par Fats DOMINO et le New Orleans Sound que par la sonorité des bayous. Cette remarque ne vient en rien diminuer les productions d’un artiste qui vient de nous quitter, c’est juste un constat et un ressenti. Loin de moi l’idée de tirer sur l’ambulance.

Buckwheat a débuté sa carrière comme organiste. A la fin des fifties, il est accompagnateur pour Clarence « Gatemouth » Brown, Joe Tex et enchaîne derrière Barbara Lynn, Solomon Burke et Bobby « Blue » Bland. Le bonhomme monte Buckwheat & The Hitchikers, joue de l’orgue dans l’orchestre de Clifton Chenier pendant près de deux ans, époque où il se met à l’accordéon. A la fin des années 70, Buckwheat est à la tête d’une nouvelle formation : Ils Sont Partis qui se transforme début eighties en Buckwheat Zydeco. L’accordéoniste enregistre alors deux albums pour Rounder puis atterrit chez Island, une major qui n’a jamais rien compris au Zydeco. Mais on pourra toujours se dire qu’il demeure le seul artiste Zydeco à avoir enregistré pour une major. Cela nous fait une belle jambe, me direz vous ! Nominé aux Grammies, l’accordéoniste fait une brève apparition en 1987 dans le film policier « The Big Easy » aux côtés de Dennis Quaid, Ellen Barkin et les deux Louisianais Ned Beatty et John Goodman. Donc artiste signé par une major, une apparition dans un nanar, il n’en faut pas plus pour le consacrer vedette. Du jour au lendemain, Buckwheat se retrouve sous les feux de la rampe, est demandé de tous côtés et se retrouve derrière CLAPTON, Keith RICHARDS, Ry COODER, Robert PLANT, Mavis STAPLES, U2, les countrymen Dwight YOAKAM et Willie NELSON ainsi qu'à la Maison Blanche devant le Président Clinton. Après une longue période passée chez Island (jusqu’en 1994), il atterrit sur un petit label Tomorrow Recordings (le prénom d’une de ses filles), grave deux disques pour les enfants et enregistre chez Alligator en 2009 « Lay Your Burden Down », album qui lui vaut un Grammy Award.

Cette compilation, le 30ème album de la série Grand Luxe Heritage, regroupe 18 pistes des deux albums Rounder « Turning Point » et « Waitin’ For My Ya-Ya » publiés en 1985. Le compilateur a soustrait 5 titres pour un problème de place, bien que 3 titres pouvaient largement figurer dans cette Deluxe Edition. Pas de quoi se mettre une balle dans la tête… mais ! On retrouve ici toutes les influences qui ont forgé l’artiste. Le Zydeco Soul est fortement présent : « Turning Point » popularisé par Tyrone Davis, « Someone Else Is Steppin’ In » chanté par ZZ Hill, Buddy GUY ou en version sombre par Clarence Edwards (la meilleure), « Let The Good Times Roll » immortalisé par Louis Jordan, Ray Charles et transformé en « Bon Ton Roulé » par Clarence Garlow et Clifton Chenier, « Warm And Tender Love » de Joe Hayward, que notre DALIDA adaptera en « Un Grand Amour » (un massacre !). L’accordéoniste ne pouvait renier ses premières amours pour le New Orleans Sound. « Ya-Ya » popularisé par Lee Dorsey diffuse quelques touches Reggae pas désagréables, largement plus captivantes que les reprises de Trini Lopez, Tony Sheridan & The Beat Brothers (Beatles) ou des adaptations en « Ya-Ya Twist » de Petula CLARK, Richard ANTHONY ou HALLYDAY (là ça fâche). « Walkin’ To New Orleans », grand succès de Fats DOMINO, vaut largement la soupe de Brenda LEE. « My Feet Can’t Fail Me Now », hymne mardi-gras du brass band The Dirty Dozen, arrive à maintenir la tension, même si la version souffre de l’absence d’un tuba et d’un sousaphone ou « Tee Nah Nah » sont les meilleurs exemples de l’influence de la Crescent City.

Buckwheat était aussi un bon songwriter. la compil nous délivre quelques-uns de ses meilleurs titres : « Madame Pitre », l’énergique « Buck’s Boogie », « Zydeco La Louisiane », « Zydeco Boogaloo » qui manque de folie par rapport aux reprises de Chubby Carrier, Rockin’ Dopsie, Major Handy ou Beau Jocque. Malgré ses premières influences, l’artiste écrivait des compositions assez proches des schémas traditionnels. Au rayon de la tradition, il reprend « Hot Tamale Baby », grand succès de Clifton Chenier. Son interprétation relègue au second rang celles de Marcia Ball ou du bluesman Joe Louis Walker. Terminons ce panorama avec « Tutti Frutti », hit de Little RICHARD, qui booste l’ensemble et une curiosité avec « This Must Be Love » de Phil COLLINS, moins emmerdante que l’original (c’était impossible).

Cette compilation regroupe le meilleur des enregistrements de cet artiste attachant. On conseillera également les faces Blues Unlimited. Le reste demeure d’un niveau inférieur, plus proche d’un Zydeco Pop sans âme et surtout sans peps, ce qui est préjudiciable dans un tel registre. Son fils Sir Reginald jouait au frottoir et comme claviériste au sein de l’orchestre paternel.

*Le surnom Buckwheat signifie sarrasin, une graine qu’on retrouve dans le blé noir. Petite précision : le guitariste Jimmy Reed qui intervient sur une moitié des plages est un homonyme de l’ancienne vedette des disques Vee Jay.