L’ombre d’Alekseï Khvostenko, mort en 2004, n’en finit plus de planer sur la musique de Leonid FIODOROV. Le poète un temps exilé en France a été une source d’inspiration primordiale pour le leader d’AUKTYON, qui rend régulièrement hommage à son père spirituel. Ici, tout est dans le mot « spirituel ». C’est en effet par l’entremise de « Khvost » que FIODOROV découvre la foi chrétienne orthodoxe et se convertit à la fin des années 80. Une spiritualité discrète, qui ne transparaît que très peu chez AUKTYON, mais que l’on retrouve au centre de son dernier album solo, Psalmy (Psaumes).

Ce projet un peu fou d’enregistrer les psaumes de l’Ancien Testament prend sa source dans les travaux d’Anri Volokhonski, qui a décidé de leur offrir une version russe moderne en traduisant directement à partir de l’hébreu biblique. Il faut savoir que ces psaumes jouent un rôle central dans les cérémonies religieuses du judaïsme et font partie depuis l’origine de la liturgie de toutes les églises chrétiennes. Autant dire que ce sont sans doute les textes parmi les plus chantés au monde, et FIODOROV, seul avec sa guitare sur cet album, s’engage sur le chemin tortueux du profane venu apporté sa petite touche d’originalité à une tradition millénaire.

Dès l’introduction du « Psaume 62 », toute l’appréhension sur la pertinence de la démarche s’envole d’un seul coup. Pas de prêchi-prêcha ici, ni de rock chrétien extatique pour ados en abstinence, seulement de l’émotion pure, de l’audace, et finalement, une redécouverte du texte hors de ses limites habituelles. On finirait presque par s’y attacher, à ce roi David, plus musicien que roi d’ailleurs, qui erre seul dans le désert et qui chante tour à tour son désespoir, sa colère et sa joie à un Dieu-complice. FIODOROV, en tout cas, semble faire corps avec le personnage, soulignant les errements du souverain de mélodies immédiates et simples.

L’album semble un moment se perdre. Le long extrait emprunté à MALHER sur le « Psaume 3 » vampirise complètement le reste de la chanson, qui semble fade en comparaison. Le « Psaume 132 », quant à lui, est éprouvant, avec ses cris de femmes déchirants qui viennent interrompre le texte de la prière. Peut-être une manière de sous-entendre que ces appels aux Ciel sont bien peu de chose face à la souffrance véritable. Le musicien, en fin de compte, ne voulait sans doute que souligner ainsi la violence du texte vengeur de ce psaume. Un morceau énigmatique, qui refuse de se laisser apprivoiser.

Comme pour s’excuser d’avoir mis les nerfs de son auditeur à si rude épreuve, FIODOROV enchaîne et conclut avec deux psaumes joyeux. Le numéro 99 est une belle chanson lumineuse, qui s’interrompt un instant pour laisser place à un délicieux passage de BRITTEN. Cette joie débordante se poursuit sur le « Psaume 22 », où l’on retrouve notre David complètement transformé, accompagné d’un kazoo déchaîné et d’une guitare guillerette. Qui aurait pu croire que ce vieux texte solennel abritait un caractère aussi festif et dansant !

Dans la galaxie du rock russe, Leonid FIODOROV est décidément un cas unique. Là où les références religieuses d’autres convertis comme Konstantin Kintchev (leader d’ALISSA) mettent immanquablement mal à l’aise, il se dégage une sincérité absolue de ce Psalmy, une volonté de donner au texte nouvellement traduit le plus bel écrin possible. Toutes les compositions ne sont pas inoubliables, mais « Khvost », là-haut quelque part sur son nuage, peut être fier de ses anciens compagnons.