Quel plaisir de revoir Ringo STARR sans 'poustache' ! Bien qu'il triche et prend une photo datant d'avant son entrée chez les BEATLES, en termes de pochette, voilà un changement qui permet ne serait que d'aérer un peu, surtout quand on se rappelle l'album précédent et une ou deux autres récentes encore. Et un choix judicieux pour notre musicien qui, avec cet album, semble vouloir revenir aux sources, l'esprit de groupe rock mais sans trop de fioritures, sans cuivres (ça respire, on vous dit) et tout et tout.

Cela donne Old Wave, un album dont personne ne semble se souvenir car il est victime d'un insuccès critique aussi bien que commercial, très injustement. Il a été enregistré à Tittenhurst Park, l'ancienne propriété anglaise de feu John LENNON à Ascot dans le Berkshire, où un studio est établi, et dont Ringo s'est porté acquéreur. Une partie provient aussi de sessions plus ou moins annulées de 1978 aux studios Sweet Silence de Copenhague, au Danemark. Surtout, ce qu'il faut savoir, c'est qu'un nouveau bon copain est de la partie, encore un qu'on connaît bien !

Il s'agit de Joe Walsh, membre éminent des EAGLES quoique tardif dans l'histoire d'un groupe devenu grandiose mais qui a déjà vu sa fin arriver (façon de parler, puisqu'il ne s'est point encore reformé !). À l'époque, il diversifie son activité avec la production d'albums et on l'a notamment vu aux côtés de John Entwistle (The WHO) pour l'album très réussi de ce dernier deux ans plus tôt en 81, Too Late the Hero. Avec Ringo, il n'est pas en reste, hélas bien peu le reconnaîtront ; cet album est peut-être le meilleur du batteur-chanteur depuis dix-douze ans, mais il fait un flop monumental, déjà pour se faire distribuer.

Le groupe est solide. Mis à part deux chansons, les reprises d'ailleurs ("I Keep Forgettin'", standard soul de Chuck JACKSON de l'année 1962 et "She's About a Mover", hit du SIR DOUGLAS QUINTET en 1965), Ringo joue la batterie de tous les titres, tandis que le génial Mo Foster (AFFINITY, Phil COLLINS, Véronique SANSON etc) tient la basse et Joe Walsh la plupart des guitares. Les claviers sont partagés entre Gary Brooker (pilier de PROCOL HARUM) et Chris Stainton (Joe COCKER, Eric CLAPTON etc), excusez du peu ! Et c'est sans compter les 'guests'.

Avec "In My Car", composition collective STARR-Walsh-Foster aux riffs adolescents (clavier comme guitare) et californien en diable jusque dans l'efficacité, avec même quelques touches beachboysiennes, on tient direct un de ces titres tout trouvés pour les trajets cheveux au vent, longeant la côte en voiture. Même les synthés-cuivres en vogue y sonnent très bien, c'est dire ! Le chant de Ringo est globalement convaincant, même si sur nombre de morceaux, il est placé un peu en retrait ; pour preuve, "Be My Baby" composé par Walsh seul, au ton funky, à l'ambiance fun et très musicale, dotée d'une talk-box très présente.

Si "Alibi" tourne un peu plus en rond, elle demeure cool dans son esprit blues léché, basse à l'avenant, duo batterie-guitare baryton bien marqué pour soutenir une forme narrative, Ringo en crooner maladroit mais atteignant son objectif tout de même. Elle est co-signée Walsh/STARR, tout comme "Hopeless", très chouette country à touche exotique, le marimba se confondant avec les résonances de clavecin électronique. Sur "She's About a Mover", rhythm'n'blues aux consonances tex-mex à l'origine, de rares vrais cuivres sous forme de fanfare viennent s'illustrer mieux que n'importe quelle partition similaire de l'album précédent et renforcent une tournure New Orleans.

"I Keep Forgettin'" avait déjà été repris par PROCOL HARUM (elle le sera encore un an plus tard par David BOWIE), plutôt pas mal taillé pour le chant de Ringo alors toujours en proie à l'alcool. Il laisse même la batterie exceptionnellement (et un rien compressée, plus dans le ton de ces années) à Russ Kunkel, tandis que Ray Cooper, ami fidèle, ressort joliment avec ses apports latinos (congas, timbales). On a ensuite cette belle et fraîche représentation musicale de la zone Los Angeles/Hollywood avec "Picture Show Life" aux final épique, Mo Foster impérial et guitares aériennes au possible, par Joe Walsh qui avait déjà fourni un solo adapté sur le précédent titre en la matière, mais aussi le brillant Waddy Wachtel en prime ici, comme premier invité de marque.

Le disque prend ensuite une drôle de tournure, fait jusque-là de chansons pour (ou empruntées par) Ringo, classique en somme. Il s'achève en la matière avec "As Far As We Can Go", spécialement écrite par Russ Ballard, ancien chanteur de ARGENT qui s'est fait un grand nom d'auteur (Roger Daltrey des WHO, RAINBOW, "Winning" pour SANTANA, "I Know There's Something Going On" pour Anni-Frid Lyngstad/FRIDA de ABBA). La voix de Ringo ainsi enregistrée est tout ce qu'il reste des sessions danoises de 1978, et l'arrangement de Joe Vitale (vieux copain de Walsh depuis BARNSTORM, inclus aux derniers EAGLES) au piano, synthétiseurs de Walsh avec quelques percussions discrètes tranche avec le reste de l'album, singulièrement. Quelle classe néanmoins, dans cette ballade très 'McCARTNEY de la côte ouest par Ringo', dans l'esprit soft d'époque !

Les deux derniers titres sont plus des récréations pour musiciens, avec juste une ou deux interventions parlées-chantées, souvent leur titre lui-même, pour ne pas donner l'illusion d'instrumentaux parfaits. "Everybody's in a Hurry but Me", avec son rythme blues électrique massif à la Bo DIDDLEY, fait miroiter un supergroupe de l'espace mais qui ne durera pas plus qu'une chanson : STARR, Joe Walsh, Eric CLAPTON, John Entwistle, Chris Stainton. La messe est dite, mais curieusement, hormis 'Thunderfingers' à la basse si goulue, c'est Ringo qui s'illustre le mieux avec sa frappe tribale. Un bon morceau, tout comme "Going Down", pop-blues à shuffle torride et guitare héroïque, orgue de Gary Brooker et mister Wachtel revenu pour se charger également de l'harmonica. Et puis il y a, dans les choeurs, Barbara Bach !

Ce titre a quelque chose de prophétique quand on sait combien la belle épouse et son mari, notre principal intéressé, vont encore galérer pendant bien cinq-six années, avant de se dépêtrer de leurs addictions, liés par leur amour afin de les aider mutuellement (et heureusement !) à tout surmonter. D'ici là, en 1983, Old Wave aux qualités pourtant multiples et si marquées (les deux derniers titres rejoignent l'esprit adolescent des répétitions de groupe dans le garage familial) n'intéresse personne. Il n'est distribué ni en Grande-Bretagne, ni aux U.S.A. ! Et aucun des pays privilégiés, grâce à RCA Canada, ne lui fera bon accueil, que ce soit le Canada, les Pays-Bas, le Japon, l'Australie/Nouvelle-Zélande, le Brésil, le Mexique (où sort un 45 tours constitué des deux reprises) ni l'Allemagne, où "In My Car" en face A de single et "As Far As We Can Go" en face B auraient bien mérité de faire une large percée. Pendant un bon moment, Ringo, et on le comprend, va arrêter les frais.