Digérer l'après Woodstock n'a pas été forcément chose facile. Pour beaucoup de groupes et d'artistes, le meilleur est désormais derrière eux. Pas pour les Creedence. La bande de John Fogerty continue à tracer sa route en marge de l'effervescence du rock psychédélique. Après le triomphe de Willy And The Poor Boys, les Creedence ne pouvaient pas mieux amorcer le tournant de cette nouvelle décennie palpitante que sont les seventies. Cosmo's Factory contient tous les ingrédients qui ont fait leur succès dès leur premier album : du blues, du rock'n roll, des morceaux fleuves, un groupe qui accompagne de manière formidable le génial John Fogerty, des compositions originales de grand cru, des reprises décapantes de standards.

Cosmo's Factory est donc en apparence un album typique du groupe. L'entrée en matière, « Ramble Tamble » d'une durée de plus de sept minutes semble confirmer ce constat car ce n'est pas en effet pas la première fois que le groupe entre ainsi directement dans le vif du sujet. La partie instrumentale véritablement stratosphérique de ce morceau relègue en arrière plan le chant du leader. Ce titre, qui débute de manière très classique par un riff efficace et la voix rocailleuse de John Fogerty se transforme en un fascinant morceau de bravoure dont l'intensité presque oppressante ne cesse de grimper crescendo. Fascinant est également l'adjectif qui qualifie le mieux la reprise dantesque de plus de onze minutes de « I Heard It Through the Grapevine », illuminée par la guitare hypnotique de John Fogerty, soutenue par une section rythmique en béton armé.

Dès le deuxième titre, les Creedence montrent un caractère davantage terre à terre avec la reprise solide du standard « Before You Accuse Me » qui fait la paire avec « My Baby Left Me », un autre classique du blues composé par Arthur « Big Boy » Crudup. Si les Creedence font la part belle au blues, ils démontrent également qu'ils ne sont jamais aussi bons que lorsqu'ils jouent du rock'n roll : l'explosif « Travelin' Band » composé par un John Fogerty en feu contraste avec le classique « Ooby Dooby ». Les Creedence vacillent donc entre respect des traditions, synonyme d'interprétation de grands standards du rock'n roll et du blues et affirmation de sa propre identité musicale au moyen de compositions originales abrasives.

« Run Through the Jungle », rock sulfureux sublimé par le chant âpre de John Fogerty et la présence bienvenue d'un harmonica, « Up Around The Bend » au riff jouissif, « Who'll Stop The Rain », ballade envoutante et nostalgique, « Lookin' Out My Back Door » titre country-rock typique du style des Creedence sont autant de morceaux d'anthologie qui font de ce Cosmo's Factory un instant de pur bonheur. On ne cesse de s'étonner une fois de plus du talent incroyable de John Fogerty. Chanteur, guitariste, harmoniciste, pianiste, compositeur, producteur et même saxophoniste!, John Fogerty est un artiste complet qui, plus qu'un pilier, se révèle être l'âme du groupe, même s'il ne faut pas oublier pour autant les qualités de Stu Cook, Doug Clifford et Tom Fogerty. Et pour ceux qui douteraient encore du génie des Creedence, fermez les yeux et laissez vous emporter par « Long As I Can See The Light », petit bijou d'émotion qui clôt superbement un album extraordinaire.

Les Creedence, groupe qui repose essentiellement sur les épaules de John Fogerty continuent avec brio un parcours pour l'instant sans faute. Cosmo's Factory n'est rien d'autre qu'un authentique classique du rock.