Suite à la dissolution de KING CRIMSON en 1975, le bassiste John Wetton (ex-FAMILY) et le batteur Bill Bruford (ex-YES) se retrouvent sur le carreau. Fin 77, les deux anciens partenaires décident de monter leur propre groupe, rejoints par le guitariste Allan Holdsworth (ex-TEMPEST, Nucleus, SOFT MACHINE, GONG) et par le claviériste-violoniste Eddie Jobson (passé par CURVED AIR, ROXY MUSIC, Frank ZAPPA).
Avec une telle line-up, digne de certains supergroupes, Wetton et Bruford n’ont aucun mal à décrocher un contrat avec Polydor qui les expédie derechef en studio. Alors que les vagues Punk et New Wave déferlent au cœur de la Perfide Albion, U.K. fait figure de mouton à cinq pattes.

Suite à d’intenses répétitions, la formation entame une première tournée et prend le nom de U.K. Wetton et Bruford, marqués par l’expérience au sein de KING CRIMSON, qu’ils considèrent comme inachevée, décident que le groupe doit produire lui-même son premier album. Enregistré à Londres aux studios Trident en décembre 77 et janvier 78, ce premier jet met en lumière le travail d’Eddie Jobson en matière de composition. Si le claviériste n’a composé qu’un seul titre, il a coécrit les sept autres, soit la totalité de la galette. Ces différentes sessions bénéficient de l’apport de Steve Tayler, un nouvel ingé-son ayant participé à la première galette solo de Bruford et diverses collaborations avec GONG, BRAND X, et Tommy Bolin, un guitariste américain qui n’atteindra même pas le fameux club des 27.
La pochette sombre sur laquelle figurent les visages des quatre musiciens provient d’une photographie de Martin Durrant reposant sur un design de Nicholas De Ville, réalisateur de nombreux visuels pour ROXY MUSIC et de l’imparable Kimono My House des SPARKS. Mais cette couvrante ne laisse aucune indication quant au registre auquel nous confronte cette nouvelle formation au patronyme des plus courts.

D’entrée de jeu, les baguettes de Bill Bruford associées au clavier et au violon électrique de Jobson marquent les esprits avec "In The Dead Of Night" qui n’est pas sans rappeler la ligne mélodique de "Watcher In The Skies" issu du Foxtrot de GENESIS. Un titre qui sera repris bien plus tard par Yngwie MALMSTEEN dans une version bien bavarde. Changement de tournure avec "By The Light Of Day" emmené par un violon aux confins du baroque et d’un Prog plus crépusculaire, presque spectral. Un titre pouvant s’inscrire entre YES et MANFRED MANN. Sur "Presto Vivace 1nd Reprise", le jeu de batterie fait penser à celui de Phil COLLINS tandis que le Yamaha CS-80 d’Eddie Jobson s’avère l’une des grandes composantes du quatuor. Seul bémol, la mélodie lorgne sur celle du titre d’ouverture, à tel point qu’on croirait avoir affaire par moment à un copier /coller. Plein de nuances, la guitare d’Alan Holdsworth prend de l’ampleur sur "Thirty Years", malgré une trop grande discrétion. Ce morceau de plus de 8 minutes risque de perdre une partie de ses auditeurs en cours de route ; le titre nous ramène à une atmosphère proche de KING CRIMSON, mais demeure selon nous un cran inférieur, le chant de John Wetton apportant un cachet mélancolique.

En guise de mise en bouche de la face B, le groupe s’offre un voyage plus cosmique avec "Alaska" où les diverses convergences entre Jazz Rock et Prog 70’s se mélangent habilement, tandis que le titre monte crescendo en virulence. "Time To Kill" se révèle nettement plus Pop, tanguant maladroitement entre GENESIS et STEELY DAN. Seuls la guitare et les volutes de violons parviennent à sortir la piste de l’ornière dans laquelle la batterie pleine de lourdeur semble s’enfoncer. La guitare d’Alan Holdsworth sert de prémices au curieux "Nevermore", long titre dépassant les 8 minutes mettant en lumière les qualités respectives des quatre membres. Le disque s’achève sur l’étrange "Mental Medication", une invitation à un voyage atmosphérique qui, en dehors d’un petit passage de basse et d’un violon tentant d’attirer dans son sillage ses partenaires, reste malheureusement assez confus.

Salué lors de sa sortie par une grande partie de la presse spécialisée, probablement impressionnée par un line-up à faire frémir, ce premier éponyme vaut essentiellement par la créativité de la face A et le jeu d’Eddie Jobson au violon. On regrette que le jeu de guitare d’Holdsworth soit si discret, comme s’il avait été mis sous l’éteignoir. 45 ans après sa sortie, cette galette inventive risque de provoquer de légers arrière-gouts de rassis, certaines saveurs perdant leur arôme d’origine. La suite sera moins rose pour la formation : après une longue tournée américaine, John Wetton et Eddie Jobson éjectent Alan Holdsworth du groupe, un renvoi aussitôt suivi par le départ de Bill Bruford en soutien de son équipier. U.K. poursuivra l’aventure en trio, Wetton et Jobson étant rejoint par Terry Bozzio, un ancien batteur de Frank Zappa. Si les premiers pas du groupe s’ancrent nettement entre Jazz Rock et Prog, U.K. se transformera rapidement en un groupe de Prog vieillissant dans la lignée de la seconde carrière d’EMERSON, LAKE & PALMER.

Cette chronique provient du pressage français édité en 1978 par Polydor.