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1997 Molène
1999 Porz Gwenn
2001 Rozbras
2004 Symphonie Iroise
 

- Membre : Nuit Celtique, Yann Fañch Kemener
 

 Didier Squiban Le Site (non Officiel) (1235)

Didier SQUIBAN - Molène (1997)
Par MR. AMEFORGÉE le 31 Août 2006          Consultée 6141 fois

Didier Squiban est un pianiste de jazz. Dans cet univers-là, il y a un stéréotype de pianiste largement répandu : celui qui possède une formation en musique classique et qui ne cesse de dresser des passerelles entre celle-ci et son style d’obédience, fait de swing et d’impros, souvent en solo ou en trio. Dans le genre, le maître reconnu par tous s’appelle Bill Evans, mais parmi les plus en vogue, on trouve l’orgueilleux moustachu Keith Jarrett ou le p’tit jeune dans le vent Brad Mehldau. Les ponts avec le classique trouvent quelques voies privilégiées, comme le lyrisme romantique souvent à l’honneur, peut-être parce qu’il n’est pas incompatible avec le « blues » du jazzman : les ombres de Debussy, de Chopin et de Liszt, entre autres, planent alors. En ce sens, Didier Squiban ne déroge pas à la règle : il endosse parfaitement le costume en nylon du stéréotype, et on ne peut manquer de nouer quelques liens entre lui et certains des musiciens susnommés (les plus vieux et illustres, en tout cas). Mais Didier Squiban est aussi breton. Un héritage dont il a pris la mesure au contact de l’Héritage des Celtes mené par Dan Ar Braz et auquel il décide de s’attacher à partir de Molène, premier album de piano solo d’une série qui puise son inspiration dans la musique celtique. Pour un résultat original et accessible.

Le triangle amoureux est idéal : Molène naviguera donc en terre celte, propulsé par les voiles du jazz dans lesquels souffle un profond et constant vent romantique. Le tableau qui en résulte sonne fortement comme une invitation à la rêverie et au voyage. Pour ce premier album, la forme adoptée est celle de la suite. On en trouvera donc trois ici, chacune composée de morceaux d’une durée raisonnable, ce qui les rend a priori fort digestes, s’appuyant sur des thèmes traditionnels, parfois célèbres, entre compositions personnelles et impros.
Le piano se pare d’arômes salins, de fraîcheur liquide, se joue du ressac et de la houle, danse nonchalamment dans la brise écumeuse : c’est l’évocation de l’océan, dans toute sa superbe mélancolique. D’un point de vue plus technique, Didier Squiban privilégie les tempos lents et les amples legato, et délivre un jeu élégant, sentimental, au service de la mélodie, qui « coule de source », si l’on peut dire, empreint d’inflexions, d’ornements jazzy, mais dépourvus de heurts (par opposition à un Thelonious Monk, par exemple), qui ne verse jamais dans la virtuosité ostentatoire. Chaque morceau témoigne d’une écriture ciselée qui vise la sobriété, sans pour autant se départir des épanchements lyriques.

Dans cette optique, la Suite n°1 se montre particulièrement réussie, jusqu’à peut-être apparaître comme la meilleure de l’album. Les premières notes lentement tournoyantes d’ « Ar Baradoz » nous accueillent dans l’univers bleuté du pianiste, avant qu’un thème nostalgique, marqué du givre breton et d’un liseré romantique, ne vienne donner un avant-goût de l’ensemble. Le plus saillant est peut-être l’enchaînement d’ « An Alach », air traditionnel parmi les connus (cf. Alan Stivell), avec la « suite d’An Dro du pays vannetais », au tempo assez rapide, et doté d’un swing affable. Un petit coup de notes bleues contemplatives sur « Ledenez » et le thème de la gavotte « Kost ar C’hoat », improvisé, reprend sous des auspices plus dansants et accorts.
La Suite n°2, quant à elle, apparaît comme particulièrement tendre, mais la « Suite de gavottes des montagnes » au rythme de danse plus enlevé ou bien le plus tumultueux « Ker Eon » apportent une vivacité bienvenue. Ce dernier constitue d’ailleurs l’un des plus beaux passages. Finalement, rien n’est meilleur que lorsque se suivent une ballade plaintive et un air de danse.

Le problème, c’est que sur la longueur, l’inspiration commence à s’essouffler et les titres tendent à devenir redondants. Le trop grand nombre de morceaux qui s’épanchent dans une mélancolie contemplative finit un peu par lasser, par nous anesthésier de l’émotion éprouvée au commencement de l’opus. J’en veux pour preuve l’ensemble de la Suite n°3, qui enchaîne une série de morceaux, certes émouvants si l’on tend attentivement l’oreille (par exemple si on l’écoute indépendamment des deux autres), mais dont la componction, la pesanteur triste, d’une lenteur douloureuse, qui culmine notamment sur « Enez Eusa », apparaissent comme superfétatoires, outrancières, avec cette fébrilité et ce côté affecté que l’on attribue d’habitude aux « talents de chambre de malade », pour faire un parallèle avec l’attitude que l’imagerie populaire dévoue à Chopin. Et c’est un peu éprouvant, pour tout dire.
Alors certes, la tentation de la pose est facile : quoi de plus romantique qu’un pianiste seul face à la mer, laissant libre cours à son inspiration tandis que le vent lui souffle des mots d’amour marins et qu’à ses pieds les vagues s’échouent en de languides caresses? Mais il y a quand même un palier qui, me semble-t-il, une fois franchi finit par nuire à l’appréciation de la totalité de l’oeuvre jouée. Le sortilège élégiaque, fragile, tient donc un temps et finit par se rompre à force de vouloir chercher l’émotion triste dans sa quintessence. L’abus de gwerz nuit à la santé, qu’on se le dise.

Enfin, toutefois, n’exagérons rien, le breuvage demeure gouleyant. C’est juste que Molène paie le tribut de la voie adoptée, encore en exploration : le meilleur reste à venir. Mélanger différents styles pour en tirer un élixir particulier, cela ne peut s’opérer sans quelques tâtonnements alchimiques. Le résultat est quand même franchement agréable.
En ce sens, on peut dire que le jazz s’enrichit de la matière celtique. Si l’on inverse la problématique, on pourra dire aussi que la musique folklorique bretonne n’avait que très peu intéressé l’instrument pianistique jusqu’alors et que dans ces conditions, Molène, si l’on se pique au jeu des clins d’oeil amusants, pourrait très bien s’intituler « Naissance du Piano Celtique ».

Il nous faut encore parler du « packaging » ou plutôt du livret fourni avec l’album : celui-ci, composé d’une trentaine de pages, renferme le travail photographique de Michel Thersiquel, comprenant paysages et habitants de Bretagne, particulièrement soigné, agrémenté de quelques commentaires de Didier Squiban sur sa musique et sur chacun des morceaux présents dans l’album. Une attention forcément louable.
Alors, Molène est le premier opus de la « Trilogie pour Piano » centrée autour de la Bretagne. Il s’agit d’un bon album, accessible, qui rend déjà compte du style de Didier Squiban. Avec un petit coup de mou à la moitié qui fait dangereusement tanguer le navire (l’homme à la barre s’est endormi). Qu’à cela ne tienne, la suite enfoncera le clou et dissipera les quelques nuages qui planent encore ici. Je gage que les détracteurs d’un lyrisme à la Keith Jarrett ne s’accommodent guère de celui d’un Didier Squiban, mais pour les autres, ceux qui voudraient avec prudence approcher le jazz par un chemin de traverse (en terre celtique et classique), ou bien ceux qui voudraient juste rêver de navigation et de crêpes au beurre salé, ceux-là seront sans doute aux anges.

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   MR. AMEFORGÉE

 
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- Didier Squiban (piano)


- suite N°1: Tri Men
1. Ar Baradoz
2. An Alac'h
3. Suite D'an Dro Du Pays Vannetais
4. Ledenez
5. Kost Ar C'hoat
6. Tri Men
- suite N°2: Ker Eon
7. Iroise
8. Suite De Gavottes Des Montagnes
9. An Skoliater
10. Trugerekat Men Dous
11. Ker Eon
12. Kerzhadenn / Pedenn
13. Variations Sur Laridé à 6 Temps
- suite N°3: Bannec
14. Marche Des Conscrits Du Faouët
15. Enez Eusa
16. Me Zo Ganet E Kreiz Ar Mor
17. An Oed A Driverc'h Vle
18. Bannec



             



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