Pour le chroniqueur qui défend les vieilleries et les artistes méconnus, deux choix se posent : soit il reste dans son pré carré, soit il s'ouvre aux nouveautés, à ce qui marche et il s'adapte, sans se renier. Il peut continuer de tenir le grimoire et en même temps, défricher de nouveaux courants, même si ceux-ci sont rattachés à des éléments communs et problématiques. Tenez, la chanson par exemple ; en France, on dit la variété. Eh bien, loin du langage SMS et du gloubiboulga autotuné, certain(e)s jeunes artistes plus ou moins en vue parviennent encore à se démarquer par leur talent et un entourage qui le sert bien. Rien n'est jamais perdu !

Laurie DARMON est une de ces belles rencontres, une jolie dame que l'on croise dans la rue et à qui on a envie de sourire, sans insister, sans chercher à aller plus loin, juste comme ça, parce que c'est agréable. Elle se démarquait déjà de loin, telle que vous la voyiez arriver, par son charme et peu importe si elle ne vous rend pas votre sourire ; si c'est le cas, tant mieux. Elle vous a marqué.

Mademoiselle DARMON, ancienne étudiante en droit et qui se sent bien à l'étroit dans un univers mondain factice, a déjà proposé deux EPs intéressants, mais à travers lesquels sa plume et sa voix se noyaient dans des arrangements électroniques massifs. Elle a aussi proposé une très jolie reprise de "Jamais Je N'avouerai", la chanson extraite de la bande originale d'Hercule, le film d'animation, sur le disque tribute We Love Disney 3, l'an dernier.

Sa voix douce et précise, au timbre d'adolescente, sa prose mêlée de poésie littéraire et de groove hip-hop/slam, trouvent une forme d'aboutissement dans ce disque très personnel, Février 91, nommé d'après sa date de naissance. Le titre "17 Ans", séparé en deux sur l'ensemble en "Face A" et "Face B", témoignent d'une forme d'introspection avec le point de vue d'une jeune femme moderne, et musicalement, le mélange hip-hop/variété se présente de la meilleure façon, en douceur et en élégance, accordé au chant de Laurie DARMON.

L'écriture n'est pas joyeuse mais légère, à la fois bien tournée et simple, car elle peut parler à tout le monde, beaucoup de femmes du moins, et autant d'hommes qui font preuve d'empathie naturellement. Le grand pari de mademoiselle DARMON, c'est le titre éponyme, une énumération de divers moments de sa vie, depuis la naissance jusqu'à "la suite". Un texte-marathon étendu sur 7 minutes avec une progression d'arrangements à la Serge GAINSBOURG, le style le plus fin d'une pop-variété déjà somptueuse. Ajoutons deux minutes de coda instrumentale pour conclusion, et cette pièce achève de nous convaincre que nous avons affaire à une vraie artiste, une grande.

C'est qu'avant cela, il n'y a pas moins de douze morceaux, peut-être pas tous de qualité égale mais inscrits dans la même unité. On peut trouver que "Les Militaires", malgré des mots toujours convaincants, se démarque par un caractère hip-hop un brin trop fort. À l'inverse, le groove funk de "Je Pense" accompagne joliment la voix et les mots qui émanent d'un esprit en proie au quotidien et qui appelle "un rayon de soleil, au soleil un paysage aux reflets vermeils". Le saxophone fait une belle apparition au milieu des rythmes électroniques, on le retrouve avec bonheur en toute fin de disque sur le fameux instrumental.

Quand ce ne sont pas des éléments jazz (la trompette de "Moments d'Absence"), le piano en trois temps et les cordes symphoniques ressortent davantage pour des fragments de poésie lyrique absolument somptueux. "Les Jupons de Madame" (qui a vieilli) sont décrits avec nostalgie par Laurie DARMON en suivant une mélodie très émouvante, portée par une voix qui, décidément, ne l'est pas moins. "La Rage au Corps" et sa passion susurrée précèdent idéalement le pilier central de l'opus, "Monte Encore", une scène d'érotisme crescendo dans une récitation à couper le souffle. La chanteuse a déjà du mal à reprendre le sien, c'est bien le cas de le dire, alors nous...

Un très beau "vrai" départ, avec des morceaux moins bons ("Clémentine", "Six Heures du Matin") mais qui le restent néanmoins. Laurie DARMON hésite entre le rap, qu'elle permet d'apprécier mieux qu'un tas de gros bourrins célèbres, que d'autres plus fins même, et une chanson de luxe qui l'emporte clairement. Nous aussi, on veut connaître la suite !