Si on m'avait demandé à moi en particulier de choisir un compositeur pour accompagner un jeu à caractère dramatique dans une ambiance fantastique teintée de mythologie scandinave, je pense que ma dernière idée aurait été d'y associer Motoi SAKURABA. Il faut dire, le compositeur officie dans un mélange de musiques électroniques, jazz et rock progressif, qui ne colle pas vraiment aux univers traditionnels, auxquels on associerait plus volontiers des instruments acoustiques, des chants a capella et toute une batterie d'effets plus classiques. Mais non, Tri-Ace en avait décidé autrement...

C'est donc l'histoire d'une Valkyrie, laquelle est missionnée par Odin pour recruter des guerriers de manière à grossir les rangs de l'armée d'Aesir, en vue de se battre pour échapper à Ragnarock, la fin du monde. L'ennui, c'est que le recrutement se fait par la mort corporelle de votre futur "Einherjar", et qu'elle intervient forcément à chaque fois dans des circonstances dramatiques (sacrifice pour sauver un proche, mort au combat, trahisons, complots. politiques...). L'ambiance est donc tragique voir macabre, bien que couplée à un aspect divin plus raffiné.

Musicalement, le challenge était de traduire cette ambiance particulière, à la fois belle et triste, dans ces grands paysages fleuris de chagrin, en terre de Midgard et d'Asgard. Des grands espaces infinis de la série Star Ocean, on retrouve l'aspect mélancolique et grandiose, SAKURABA maîtrise toujours les volumes et remplit le spectre sonore de ses épaisses nappes de clavier, donnant cet aspect de coffre et de grandeur. Les titres "Into a world becoming impure" et "Like being accustomed to" (bien que celui-ci soit surdosé en sucre...) s'inscrivent d'ailleurs parfaitement dans le ton généreux et cristallin des musiques de Star Ocean 2. A cette dimension volumineuse et planante, il faut également additionner de nombreux chœurs synthétiques, surhumains voir divins, jouant dans diverses paroisses, allant de chœurs enfantins légers sur "Epic tale of a holy death" à d’autres féminins, telles des nymphes fantomatiques sur les sublimes "Fragments of the heart" et "Night to the twilight of..." pour terminer sur ceux d’alto dissonants touchant au macabre sur "That guy's name is fear".

Cet arrange de Valkyrie profile, bien que n'étant pas avare en thèmes lents, mélancoliques et enivrants, marque tout de même par la présence de nombreux titres plus rythmés, contrairement à l'arrange de Star Ocean 2. Dans ces parties plus vives, SAKURABA cherche à forcer l'impression de puissance, quitte à trop en rajouter, voir même asséner des coups stridents à nos oreilles déjà meurtries par des basses écrasantes (comme sur "Hopeless resolution") de manière à écarteler les graves des aigus et immiscer sa ligne mélodique entre les deux. On remarquera déjà cette façon d'enchaîner de longues parties solistes, sur divers instruments (basse, guitare, clavier...) de manière moins boursouflée que sur l'arrange de Star Ocean 3, sorti quelques années plus tard...

Deux titres viennent tout de même gâcher le tableau, "To the last drop of my blood" et "Battle with god", qui sans être mauvais, on cette fâcheuse tendance typiquement japonaise à sembler survitaminés, malgré une ligne mélodique somme toute simpliste. Vous avez certainement déjà entendu de la pop japonaise (J-pop), avec une chanteuse hystérique essouflante accompagnée d'une profusion de sonorités électroniques kitsch ; vous voyez certainement le tableau, ici même chose, mais sans la chanteuse. En somme, deux titres souffrant du "syndrome Megaman", que l'on rapprochera trop facilement de l'univers video-ludique, se joignant difficilement à l'ambiance sombre et ésotérique que l'album semblait vouloir adopter jusque là.

Le mauvais côté de la balance est tout de même bien rattrapé (en particulier) par le sublime "Night to the twilight of...", titre dont la structure se base sur un motif à la guitare, une arpège pesante qui sonne presque comme un glas dont la lourdeur conduit une flûte enchanteresse plus légère. Celle-ci contraste avec la tension palpable, avec toujours ces arpèges qui tombent comme des lames de guillotine menaçant l'auditeur condamné à passer dans l'autre monde. Dans un autre registre, mais toujours du même côté de la balance, on ajoutera le plus rythmé "Requiem for a predicament", couplant des sonorités Trance (les fameuses mélodies électroniques qui se déforment au cours du temps) à des nappes de synthé aiguës et puissantes ravivant ce sentiment de grandeur musicale.

Bien que la course s'arrête sur quelques titres malvenus, elle est des plus haletantes, mariant parfaitement des claviers puissants à des thèmes dramatiques. Et dans cet univers intégralement électrique, SAKURABA déploie une vision moderne de la mythologie scandinave, faisant chanter ses valkyries dans une brutalité électronique aussi bien émotionnelle que sonore. Au delà des étoiles, on y découvre un Valhalla éclatant de cette froideur cristalline, loin de la tranquillité apaisante des monts olympes et autres paradis. Cet arrange figure en tous cas parmi ses travaux d'exception, une pièce de maître en la matière, on espère que la suite vidéo-ludique qui vient tout juste de paraître au Japon ait bénéficié d'un écrin musical semblable, tout du moins en terme de qualité.

PS: un grand merci à notre ancien camarade chroniqueur, Julien, sans qui cette chronique n'aurait pu être rédigée...