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- Style : Marissa Nadler , Agnes Obel

Emily Jane WHITE - Blood / Lines (2013)
Par AIGLE BLANC le 26 Décembre 2017          Consultée 1867 fois

Les artistes sont des explorateurs qui élaborent leurs œuvres telles des offrandes, à partir des souvenirs rapportés de leurs voyages. Il s'agit pour eux, à chaque fois, de recréer une expérience vécue, disséquée puis transformée, avant de nous en livrer la forme transcendée. Cela implique, dans une large mesure, le recul nécessaire à l'appréhension des trésors ramenés de leur périple.
Que ce voyage soit ouvert sur le monde ou le fruit d'une introspection ne change en définitive pas grand-chose à l'affaire.

Seulement voilà, parmi ces artistes, il en est, très rares au demeurant, qui ne sont jamais revenus de leur voyage et n'ont pu par conséquent suivre le processus traditionnel d'organisation et de recréation de leurs souvenirs, comme l'exigent d'ordinaire les œuvres d'art. Tout se passe comme si l'expérience vécue, s'emparant de l'artiste, rendait impossible son travail de remémoration, comme si l'œuvre en gestation se développait de façon autonome et, pour trouver sa forme idéale, se servait de l'artiste comme d'un médium tout juste capable de générer une œuvre étrangère à lui, sorte d'excroissance de son expérience sensorielle. Ces artistes 'malades' ayant succombé aux charmes vénéneux de leur périple intérieur ne nous offrent pas un album de souvenirs, aussi séduisant soit-il, mais nous exposent à l'expérience-même qu'ils ont traversée, au risque de nous contaminer.
Pour rendre plus concrète ma théorie, peut-être comprendrez-vous mieux ce qui en retourne si j'évoque devant vous le cas mythique de notre ami Robert JOHNSON. Ne disait-on pas de lui qu'il avait dû pactiser avec le diable pour faire jaillir de sa guitare les effluves ensorcelants du blues le plus démoniaque?

Emily Jane WHITE appartient à cette veine d'artistes qui, une fois dans leur vie, se sont trouvés happés par leurs fantômes. Sa discographie, débutée en 2008, et comprenant à peine 5 albums, ne permet pas encore de savoir si son œuvre restera hantée ad vitam aeternam comme, semble-t-il, celle de sa cousine spirituelle, l'envoûtante et envoûtée Marissa NADLER dont chaque opus creuse un peu plus ses hantises jusqu'à l'obsession, sans nul doute la reine absolue de ces artistes dont la musique est le sang qui circule dans leurs veines.

Facilement classée dans la scène folk américaine actuelle, Emily Jane WHITE partage l'affiche aux côtés de Marissa NADLER, Mariee SIOUX et Alela DIANE, autant d'auteures-compositrices-interprètes, nées au début des années 80 et vivant en Californie (sauf Marissa NADLER), qui semblent poursuivre la voie tracée par les légendaires Hope Sandoval (de MAZZY STAR) et Paula Frazer (de TARNATION).
Sans se revendiquer d'aucune école, elles entretiennent un rapport viscéral à la musique qui imprègne leur folk obsédante d'atours gothiques, Marissa NADLER et Emily Jane WHITE demeurant les plus ouvertement habitées par les contrées brumeuses et morbides d'Alan Edgar Poe.

Mais si l'art de la chanteuse progressait de manière significative depuis Dark Undercoat (2008), jusqu'à frôler la grâce avec Ode to Sentience (2010), comment aurions-nous pu prévoir le séisme que constituerait Blood/Lines en 2013, opus majeur de l'artiste, littéralement hantée par un voyage instrospectif dans l'embrasement duquel elle a laissé, captive, son âme comme gage aux fantômes qui se sont emparés d'elle?

Composé de 9 ballades qui naviguent du sublime au très bon, en passant par l'excellent, Blood/Lines, par son intensité et l'extrême densité de son inspiration, défie l'entendement. L'expérience à laquelle nous convie Emily Jane WHITE est de celles qui marquent profondément. En dépit de l'uniformité certaine des titres, qui tracent jusqu'à l'obsession le même sillon et traversent les mêmes climats sombres et mélancoliques, l'écriture s'abreuve à une source qui semble inépuisable. Les qualités déjà présentes dans son précédent opus, Ode to sentience, sont ici transcendées, comme si l'artiste en l'espace d'à peine deux ans avait accédé à une dimension supérieure, à une maturité qui la rende prêtresse de son art, sans jamais donner l'impression pour autant de forcer son talent.

La force émotionnelle du disque n'a de pair que la sobriété admirable de ses arrangements. E. J. WHITE s'accompagne au piano et au synthétiseur dans chaque titre, ce qui assure une base solide aux compositions. Elle se risque même, comme dans "Faster than the Devil", à quelques accords de guitare électrique réduits à leur plus simple expression. Elle en joue d'une façon singulière, préférant les sonorités basses, jusqu'à sous-accorder sa guitare semble-t-il, et privilégiant le picking comme dans l'ouverture somptueuse que constitue "My Beloved". Ses synthétiseurs déploient quant à eux des nappes introspectives qui renforcent l'humeur sentimentale d'un titre aussi poignant que "Keeley", du nom de sa petite soeur à qui elle adresse son amour éternel. Cette sœur serait-elle morte? En tout cas, c'est ce que me donne à penser la photo en noir et blanc des deux soeurs White, sur la pochette intérieure du vinyle, quand elles étaient encore à l'âge de l'enfance. La batterie et les percussions de Nick Ott n'interviennent pas systématiquement, et quand c'est le cas, traîtées à égalité avec les autres instruments, elles se fondent habilement dans le tissu sonore auquel s'adjoignent à l'occasion des cloches comme dans l'intense "Thoroughbred" ou dans le puissant "The Wolves", l'un des pics de l'album, d'une beauté convulsive stupéfiante. Si les instruments demeurent la plupart du temps discrets et parcimonieux, c'est pour mieux mettre en valeur les passages les plus lyriques quand soudain l'émotion qui s'exacerbe voit les synthétiseurs se déployer jusqu'à l'ampleur orchestrale comme dans le magnifique "Wake" et son pont central qui introduit une cassure harmonique d'une belle intensité.
Les esprit hantés finissent toujours par se rencontrer au fil de leurs errances, aussi est-ce tout naturellement que Marissa NADLER vient prêter sa voix aux chœurs de "Faster than the Devil" et de "Dandelion Daze".
Emily Jane WHITE, sans avoir une voix exceptionnelle, assure au chant un sans-faute, sensible sans être larmoyante, sans esbroufe mais impressionnante dans la précision de ses placements. Dans le plus beau titre de l'album, le bouleversant "The Roses", elle dédouble sa voix lors du passage le plus hanté et les frissons m'envahissent à chaque écoute.
Les ambiances caressent une somptueuse noirceur, mais que traverse toujours un rayon de lumière. Cet album a eu raison de mon âme. Me la rendra-t-il un jour?

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   AIGLE BLANC

 
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- Emily Jane White (chant, piano, synthétiseur, guitares acoustique)
- Marissa Nadler (chœur (titres 2 & 6))
- Shawn Alpay (guitare électrique,violoncelle)
- Darwin Meiners (basse)
- Nick Ott (batterie, percussions)
- Mark Philpott (clarinette basse)


1. My Beloved
2. Faster Than The Devil
3. Keeley
4. Thoroughbred
5. Wake
6. Dandelion Daze
7. Holiday Song
8. The Roses
9. The Wolves



             



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