Voici un disque qui a entraîné chez votre serviteur un très important traumatisme. Retour en arrière : 1990 (ou 89 à la sortie des premiers singles), le sémillant Thierry Hazard, beau comme un dieu avec sa coupe Philippe De Dieuleveult et sa chemise Desigual à 9,99 €, pose pour une double page dans Télé 7 Jours, haute référence de la littérature musicophile. Le texte nous apprend qu'"en plus de jouer du synthétiseur, Thierry joue parfaitement de la guitare électrique". Court-circuit dans ma tête. Pourquoi ce choix de mot ? Comment peut-il jouer "parfaitement" de la guitare électrique ? Cela veut-il dire que les autres jouent de la guitare électrique comme des cochons ? Et pourquoi électrique ? Et pourquoi pas l'inversion des deux instruments ?

Bref, cette phrase m'a obsédé pendant longtemps. Jouer parfaitement de la guitare électrique... L'honneur suprême, tutoyer les Dieux, un accomplissement herculéen, un passe-droit pour devenir un Homme, un vrai, avec les boboles poilues : jouer parfaitement de la guitare électrique, comme Jimi HENDRIX. Ou Thierry HAZARD. Evidemment, l'apprentissage des instruments étant ce qu'il est, j'ai fini par comprendre que cette phrase avait autant de sens qu'une notice d'utilisation de pâtée pour chats. Jusqu'à ce divorce définitif avec la presse musicale technique et professionnelle, le jour où une ravissante Cécile, dans Télé 7 Jours, toujours eux, annonça la sortie d'"un nouvel album live d'EMERSON LAKE & PALMER ; inclus : Iconoclast". Ce qui est peu ou prou l'équivalent de "la sortie d'un nouvel album de Frank ZAPPA ; inclus : Introduction".

Re-bref, en 1990 Thierry HAZARD était dans Télé 7 Jours. Et Téléstar. Et ta télé. Et ta radio. Et partout, absolument partout, vérifie le double-pli de ton drap-housse. Pop Music, s'intitule son premier album, au moins la couleur est annoncée. Pop comme populaire. Et elle l'a été : la moitié des titres ont été des succès, pour ne pas dire parfois de très gros tubes. HAZARD a frappé extrêmement fort avec un disque qui n'a qu'un seul, et unique, but : faire chanter les refrains. Rien d'autre ne compte. Les ambiances ? Que d'chi, à une exception. Les arrangements ? Ils sont entre soignés (rythmique efficace, quelques cocottes funk jouées parfaitement à la guitare électrique) et cheap car ce disque n'est pas exactement une référence en matière de bon goût et de sophistication.

Non, HAZARD veut ancrer ses refrains dans la tête, et c'est dur de résister : "Le Jerk" (avec ses paroles d'une médiocrité atomique), "Un Jour C'est Oui" (avec son petit côté pop-rock Axel BAUER), "Le Jeu de l'Amour" (un peu Guy MARCHAND sur les bords), "Katmandou" sont des chansons très simples, très accrocheuses. Très superficielles aussi, soyons honnête.

Il y a aussi les chansons qui ne sont pas passées à la postérité, car franchement trop moyennes, mais il est stupéfiant de se rendre compte que trente ans plus tard on s'en souvient encore : "Les Temps Sont Durs", "Sing Sing"... Anecdotiques au possible, mais qui ont leur place dans un album intitulé avec bravade "POP music". La reprise de POLNAREFF, moyenne, remise au goût du jour sans génie ni vraie maladresse, a été un succès intéressant car à l'époque, POLNAREFF était quasiment Polnamort (au moment de l'enregistrement de Pop Music, POLNAREFF errait fin saoûl dans les couloirs d'un hôtel privé Parisien, enregistrant son album par talkie-walkie interposé avec un certain Mike OLDFIELD, selon la légende). Et HAZARD ainsi de se revendiquer d'une certaine musique : la variété simple mais populaire et non bâclée.

Disque intéressant ? Pour l'époque oui car il a marqué la fin d'un cycle ; de nos jours, c'est plus délicat. Le côté putassier et simplet, pour ne pas dire simpliste, prend le pas sur l'effet nostalgie. Mais trois titres surnagent et laissent à penser que HAZARD n'était peut-être pas qu'une étoile filante. "Poupée Psychédélique", "Jusqu'à La Fin de l'Eté" (qui possède quelques atomes crochus avec le INDOCHINE de l'époque) et surtout "Les Brouillards de Londres" et son riff de piano irrésistible sont trois excellents titres qui partagent la même ferveur, le même sentiment d'urgence. Oh ce n'est pas MOTORHEAD, mais il y a quelque chose, une énergie, une générosité mélodique, du panache. HAZARD se fait plaisir, nous fait plaisir.

Pur produit de son époque, et paradoxalement conscient de son statut de terminus, HAZARD a hanté les ondes pendant 18 mois avant de repartir comme il était venu, dans une indifférence assez spectaculaire. Une vraie comète de Haley (les bleus, ou les verts selon). Cet album restera à tout jamais comme un témoin du passage entre les années 80 "joyeuses et bariolées" et les années 90 "humanistes et sombres", un "truc chelou" dont on n'ose pas trop révéler l'existence à nos enfants mais qu'ils finiront bien par déterrer un jour. Rarement le terme "plaisir coupable" n'aura été aussi adéquat, et n'oubliez pas : si vous aimez deux ou trois titres de cet album, vous êtes coupables, certes, mais pas responsables, na !