Ce disque sorti il y a 50 ans mérite un bref historique : en février 68, trois étudiants sont abattus lors d’une manifestation en Caroline du Sud tandis que le bon président Johnson expédie 50000 jeunes recrues pour aller patauger dans les rizières. En mars, Lyndon Johnson annonce qu’il ne se représentera pas pour un nouveau mandat. Le 4 avril l’assassinat de Martin Luther King à Memphis met le feu aux poudres et débouche sur des émeutes raciales dans plus de 130 villes. En juin, le sénateur Robert Kennedy est abattu et rejoint son frangin. En juin, on commence à rapatrier au pays près de 25000 pauvres gus partis jouer aux petits soldats contre leurs gré.

Voilà en quelques lignes à quoi se résume la situation politique aux States en cette belle année 68 et ce climat tendu se répercute bien naturellement dans « This Is My Country ». La pochette n’est pas si anodine : le trio semble voguer sur un champ de ruines, ce que confirme le dorsal en noir et blanc. Ce neuvième opus est également marqué par de gros changements : les IMPRESSIONS ont quitté le géant ABC Paramount pour rejoindre Curtom Records, le label nouvellement fondé par Curtis MAYFIELD et Eddie Thomas, manager de la formation. Autre grande nouveauté, Mayfield s’il produit, compose toujours pour le groupe, chante de moins en moins avec ses partenaires.

Depuis 1963, le trio n’a cessé d’accumuler les succès. Entre « It’s All Right » qui monte à la 4ème place du Hot 100 durant l’automne 63, à « I’m So Proud » et surtout « People Get Ready » et « Woman’s Got Soul » en 1964, le trio a entassé les hits mais s’est surtout démarqué de ses concurrents traditionnels en élaborant une Soul n’hésitant pas à aborder les problèmes politiques du pays et la Ségrégation. Par rapport à la Soul édulcorée de la Motown, celle de la Windy City, et plus particulièrement du trio, pourrait faire figure de conscience Soul.

Après avoir entassé les hits, les Impressions connaissent deux années de creux. Le trio rebondit en 68 tout d’abord avec « We’re Winner » dont le titre leur permet de marcher sur la plus haute marche des classements R&B pour la seconde fois, et enfin avec l’album « This Is My Country » dont deux chansons rentrent dans le Top 10.
Au niveau du répertoire, on retrouve toujours des arrangements de qualité, des riffs cuivrés et trois voix qui se complètent merveilleusement et donnent parfois l’impression d’être surmultipliées. Les dix titres proviennent tous de la plume de Curtis Mayfield, hormis deux chansons coécrites avec Donny Hathaway, alors peu connu à l’époque. En ouverture, « They Don’t Know » se révèle un fervent et touchant plaidoyer pour une éducation plus juste et un véritable appel à la solidarité. « Stay Close To Me », titre plus optimiste, tient plus d’un tempo s’inscrivant dans le registre Motown que dans celui de la Soul à message. Le jeu de guitare fait merveille sur « I’m Loving Nothing », une ballade sur l’amour, mais « Fool For You » (aucun lien avec l’homonyme de Ray Charles) s’annonce encore plus sombre. En réalité, les textes parfois complexes de ce disque viennent se vautrer dans des thématiques liées à l’amour ou aux problèmes de couples : « My Woman’s Love », « So Unusual » avec son intro de trompette pouvant réveiller Jéricho ou « Loves Happening » (composé à l’origine pour Five Stairsteps) en sont les plus beaux exemples.
Mais s’il fallait aujourd’hui retenir un morceau, « This Is My Country » qui donne son nom au disque tout en le clôturant remporterait probablement d’importants suffrages. Aussi délicatement qu’il le peut, Mayfield évoque le mouvement des droits civiques et regrette que ses concitoyens soient privés de leur droit de vote, alors que nombreux de ses ancêtres se sont sacrifiés pour le pays. Les multiples « They » utilisés dans la chanson font bien évidemment référence à l’Amérique Blanche. Malgré la qualité des arrangements, de belles mélodies et une orchestration très cuivrée, le répertoire a pris un petit coup de vieux. Seules quatre ou cinq pistes restent aujourd’hui d’actualité. Les autres, à l’image des visuels, font plutôt office de remblais. Un 2,5 pour le talent d’écriture et l’assemblage des trois voix.