Avec Don ("profond" en breton), KOHANN poursuit dignement sa carrière, avec un niveau de qualité égal à celui de Mil Bed (1998). Environ 20.000 copies de ce deuxième effort discographique sont vendues, et avec le temps, le groupe morbihanais aurait certainement pu atteindre les sommets des groupes de Bristol, UK, la même reconnaissance. Hélas, la séparation est imminente.

Tels MASSIVE ATTACK à leurs débuts (notamment l'album Protection, dont j'avoue ne pas être bon client), le son pionnier, à la texture légèrement aride, évolue ensuite vers quelque chose de plus dense, des atmosphères plus riches. C'est le cas de Don dont les rythmes, souvent lents, offrent une passerelle intéressante vers le blues et le jazz ("Diorrein", "Ba' me bég"), le tango même car le morceau-titre est développé sur un genre de paso doble.

Dès celui-ci, on retrouve avec bonheur les guitares déformées et bruitistes de David Bellec, le dialecte vannetais gorgé de sensualité par Michèle Gaurin. "Pinwigêh" insère un souffle faussement rock et des choeurs polissons au milieu de beats et loops qui s'embrouillent. "Me zo", sur des phrasés vocaux suaves et groovy comme la fée sait en faire, fait courir sa mélodie éperdue vers des contrées stellaires.

Ce dernier aspect est une constante de Don : les morceaux visent plus haut que les cimes : les cieux. Et le plus beau, c'est qu'ils y parviennent fort bien. Dans la lignée du splendide "Krollet" sur Mil Bed, la tournure sonore prise ici par Sylvère Morrisson, sa capacité à générer les ambiances célestes est un bonheur total.

On commence avec un titre très solaire, "Morad du", ponctué d'un riff funky de guitare déjà excellent, avec une combinaison chant/groove/nappe onirique qui ne l'est pas moins. Les autres morceaux préfèrent la nuit et il y a, pour parler vulgairement, du très lourd. En fait, depuis "Morad du", le niveau ne baisse pas, ou si peu, jusqu'au final. Même un titre comme "Boud Bihan", d'apparence mineure comparée au reste, demeure très bien fait ; ah ce ton blues du chant !

Ce qui nous donne des "Diorrein", complainte jazzy avec cordes en avant, "Ba' me bég", slow fantastique jouant à la fois sur les rythmes ternaire et binaire, où Michèle Gaurin se change en créature hybride (mélodie torturée d'un côté et douces vocalises de l'autre). Quelle grâce ! Idem pour "Doutañs", bluette pop parcourue d'une basse et d'un tremolo de guitare, ensemble mémorable.

Beaucoup de titres valent le détour, caractéristiques d'une musique "borderline", où les claviers, arpèges clairs et bien sûr la chanteuse craquante sont quelques repères lumineux dans un brouillard, une contrée à risques mais point trop dangereuse. Ce n'est pas de l'avant-garde, non plus !

David Bellec insiste sur quelques effets mordants et bruitistes, notamment lors du crescendo de "Nozigan On", titre non-cité jusque là mais qui, du haut de ses six minutes, reste sans doute le plus beau de tous. Un slow enivrant comme même la variété n'en fait pas toujours, sans parler de la dynamique créative à travers une structure pourtant linéaire. Vraiment, de la belle ouvrage que ce Don, un indispensable de la pop électro/trip-hop made in Breizh !