C'est beau cette langue ! Qu'est-ce que c'est, de l'islandais ? De l'elfique ? Non, c'est du breton.

KOHANN est le nom que se choisit un trio de jeunes personnes basées à Lorient en cette année 1997. Michèle Gaurin, David Bellec et Sylvère Morrison fondent le groupe qui deviendra le pendant des MASSIVE ATTACK et autres PORTISHEAD, l'étendard du trip-hop breton par excellence.

Sauf que leur particularité n'est pas de suivre le mouvement et de chanter en anglais. Modernité oui, mais ici et contre toutes attentes, elle rime avec tradition. De fait, en plus de saupoudrer des influences de musique bretonne avec subtilité, les textes sont écrits – par Morrisson d'abord, Gaurin dans une moindre mesure – en vannetais, dialecte le mieux connu et plus répandu de la zone sudarmoricaine.

Mil Bed paraît la même année que Mezzanine, en 1998, alors que le courant trip-hop est au faîte de sa popularité. Le style est vu à la fois comme un melting-pot et une réunion intelligente de tous les courants de l'époque, pop, électro et hip-hop en particulier. Foin de rap vocal chez KOHANN, car même si Michèle Gaurin fait swinguer le breton mieux que personne, c'est une influence qui reste cantonnée à quelques rythmiques.

Tandis que David Bellec passe de la guitare à la basse et inversement selon l'envie, Sylvère Morrisson crée un emballage qui s'avère être un régal pour tout réfractaire aux machines. Pour commencer, il n'y a pas de scratches et la musique s'accorde vraiment avec l'humeur vocale de Michèle Gaurin. Celle-ci est le son de l'image donnée par la pochette de Mil Bed : une fragilité certaine dans une robe de femme fatale.

Jouant de ses atouts féminins, la mignonne et craquante Michèle Gaurin favorise une voix acidulée et très mélodieuse qui donne de la profondeur à chaque syllabe prononcée et semble vouloir l'embrasser. En même temps, et tout en restant elle-même, elle peut révéler une puissance dévastatrice, difficilement contenue, comme en témoigne la fin de "Mamm!", morceau cosmique dédié à la Terre, de façon viscérale.

Les textes versent en effet dans une personnification de la nature, des éléments que la chanteuse incarne, jusqu'à s'identifier à la chouette hulotte ("kohann"), dès le premier morceau, le splendide "Awenn". Michèle Gaurin tient un discours lancinant gorgé de sensualité, sur fond d'orgue aux couleurs reggae, et ainsi de suite jusqu'au pont rendu plus agressif et dérangé par l'intervention de David Bellac.

À l'image de la musique trip-hop, celle de KOHANN est faite de progressions, de tâtonnements qui semblent pourtant calculés savamment, tant ils semblent couler de source. Et ce, alors même que les ruptures sont parfois brutales ou les rythmes plus "dance" ("Dis On"). Cette musique devient rapidement hypnotique et addictive, grâce en particulier à la voix délicieuse, qu'elle soit naturelle ("Douar" qui ressemble à une berceuse), susurrée ("Trevari") ou samplée ("Dis On"), avec pour seul effet global de captiver l'auditeur.

Mis à part "Kest" et ses dissonances, les titres de Mil Bed sont d'une évidence rare bien qu'ils requièrent une écoute attentive. Le morceau qui donne son nom à l'album déborde de saturation, ce qui n'enlève rien à son caractère cosmique présent sur de nombreux autres comme "Mamm!" ou encore le magnifique "Krollet", adaptation d'un poème de Yann Ber Kalloc'h, soldat tué à la bataille de la Somme en 1916, originaire de l'île de Groix mais qui parlait le vannetais et qui a aussi écrit le mieux connu "Me Zo Ganet e Kreiz ar Mor". Les claviers et les percussions évoluent différemment d'ailleurs, dans un contexte plus guerrier.

Et bretonnes, certaines variations le sont également, "Dis On" qui rappelle les bal-plinn, "Kest" qui a un air de gwerz. Les belles ambiances, les orgues divers, les guitares et basses tranchantes, les chants féériques se succèdent avec bonheur dans ce disque et suscitent la passion. Mil Bed est un premier essai plus que concluant, disque majeur du trip-hop et qui participe joliment au renouveau de la musique bretonne, comme le deuxième album de Denez PRIGENT dans un domaine électronique, pour l'époque.