Luther ALLISON reste l’auteur de nombreux disques captés en public, mais s’il fallait n’en retenir qu’un, « Live In Chicago » serait indiscutablement en tête du peloton. Ne tergiversons pas, avec le Live à Paris et les deux albums studio « Love Me Mama » et « Love Me Papa » ce Live à Chicago constitue le meilleur document sonore consacré au guitariste. De nombreux spécialistes, dont votre humble serviteur, considèrent même ce double CD comme le meilleur témoignage d’Allison.

Présenté sous forme de double CD, Live In Chicago apparait dans les bacs des disquaires en 1999, d’abord sous l’étiquette d’Alligator Records, célèbre label de Chicago et quelques semaines plus tard chez la firme teutonne Ruf Records avec un visuel similaire.
En fait de concert, ces 19 titres proviennent de trois shows différents : huit titres remontant à juin 1995 au Chicago Blues Festival, six autres sont captés en novembre de la même année au Legend, le club de Buddy GUY et enfin quatre titres sont issus d’un concert au Zoo Bar de Lincoln, le fief de Magic SLIM.

En dehors de Luther, seul le guitariste James Solberg est présent sur la totalité des morceaux. Alors pourquoi ce double CD se détache-t-il du lot ? Tout simplement parce que pendant 2H11 de show, Luther nous offre ici une communication et un feeling hors-du-commun. Au travers de ces 19 plages, le guitariste nous délivre une joie de communiquer, de partager d’un haut niveau. Rappelons-nous que c’est bien sur scène que Luther Allison donnait le meilleur de lui-même.
Autre détail, si Luther pouvait se montrer un brin trop démonstratif et si parfois le public pouvait sembler excité par les prestations et le charisme du bonhomme, il faut garder à l’esprit que le guitariste gardait un parfait contrôle, même sur les passages lorgnant sur ce que certains auraient tendance à appeler du Blues Rock. Et Alligator est parvenu à garder une parfaite cohésion malgré le recours à trois sources différentes. Autre avantage, dix titres proviennent de la collaboration entre Solberg et Allison, Luther proposant également deux titres de sa création. C’est donc un répertoire beaucoup plus personnel que nous offre le guitariste.

Exceptionnellement, nous ne détaillerons pas les titres ici, tout est bon comme dans le cochon. Après une présentation de Tom Marker, un animateur radio de Chicago, qui n’oublie pas de préciser que Luther vit à Paris et connaît un retentissant succès en Europe, le guitariste enchaîne sur du West Side. On retrouve ici certaines fragrances de ses mentors (Otis RUSH, Magic SAM, Magic SLIM) ou Freddie KING , mais à contrario des précités, Luther nous assène ici des blues beaucoup plus urbains s’articulant sur de longs solos de guitare chargés d’émotion et de feeling et toujours inspirés.
Mention au blues lent « Cherry Red Wine » qui malgré sa longueur ne parvient pas à nous saouler, bien au contraire. Même chose avec « Bad Love », un slow blues des plus tenace (près de 10 minutes). Les amateurs de slide seront comblés avec « Give Me Back My Wig » un inusité d’Hound Dog Taylor. Impression similaire avec « It Hurts Me Too », grand succès de Tampa Red. Mais c’est bel et bien le medley « Gambler’s Blues / Sweet Little Angel » (soit un assemblage de BB KING et de Johnny Pate) qui retient l’attention avec les deux invités de luxe Otis RUSH et Eddie C. CAMPBELL. Mais contrairement à certaines productions du style Duo où les belligérants délivrent des répertoires insipides ou trop démonstratifs mais sans une once de feeling, ici les trois guitaristes ne se tirent pas la bourre mais nous assènent une véritable démonstration d’amitié, chacun des trois n’ayant de cesse de tirer ses partenaires vers le haut. Un grand moment de Blues.
Autre grand moment avec la reprise de Magic Sam « What Have I Done Wrong ? » dans lequel le jeu de guitare se fait plus funky que l’original. Si Luther Allison, guitariste aérien et flamboyant et chanteur généreux mais habité, pouvait parfois fatiguer les amateurs de Delta Blues, l’homme savait entrecouper ses concerts de passages plus tendres, la preuve avec « Think With Your Heart », un véritable slow blues. On retrouve toutes les influences du Gospel (Luther avait débuté au sein des Southern Travellers, une troupe de Gospel qui comprenait trois de ses frères) sur « You’re Gonna Make Me Cry », une création de Don Robey et un bon moment de partage et de communion. Le recueil s’achève sur « Everything’s Gonna Be Al Right », une compo de Little Walter bien plus convaincante que les tentatives des Walker Brothers ou de Billy Branch.

Ce disque malheureusement posthume, Luther étant décédé deux ans avant sa sortie, bénéficie également d’une qualité sonore de haut niveau et demeure le disque phare du guitariste.