Too Much Sugar For A Dime est le deuxième album de Henry THREADGILL avec VERY VERY CIRCUS. Si le groupe comprend toujours un batteur, deux tubistes, deux guitaristes, et THREADGILL au saxophone, le tromboniste a disparu au profit d’un... corniste ! Voilà qui forme un combo définitivement hors normes, voire franchement insolite !

"Little Pocket size demons" ouvre les festivités. L’absence d’introduction vous donne l’impression d’être jeté directement dans le chaudron. Le rythme est heurté, les tubas et le cor particulièrement puissants. Un premier solo de guitare, épique, et vous voilà parti au triple galop pour 10 minutes d’une chevauchée fantastique, dans une tension maintenue de bout en bout par une rythmique hors du commun, laquelle permet à THREADGILL de déployer une savante alternance de musique écrite et improvisée, de brillants soli de saxophone, de cor et de guitares, jusqu'à un long decrescendo final. En fait, ce morceau n’est autre qu’une tuerie d’une suprême élégance, un merveilleux fracas sonore qui ne peut laisser indifférent.

On sort groggy de l’écoute de ce premier morceau. Et à peine reprend t-on son souffle que démarre "In touch", qui déploie une fièvre identique, violon, oud et chant en plus. Il en est de même pour "Paper Toilet" et "Better wrapped / Better Unrapped", invariablement puissants. "Too Much Sugar", le titre, paraît dès lors étrangement lent quoiqu'aussi habité. Quant à la conclusion du disque, "Try Somme Ammonia", c’est un titre joyeux et enlevé, comme si THREADGILL voulait s’assurer que nous ne le quittions pas sur une note trop sérieuse.

La musique de VERY VERY CIRCUS a évolué depuis Spirit Of Nuff... Nuff. Elle semble moins dilatée dans l’espace et le temps, davantage ramassée sur elle-même, formant un puissant sentiment d’urgence.De plus, THREADGILL joue en permanence des contrastes. Ses compositions sont à la fois intenses et légères, réfléchies et spontanées, complexes et fluides. Ces contrastes reposent sur la batterie et les tubas, qui forment une ahurissante colonne vertébrale, extraordinairement solide quoique pouvant paraître étrangement bancale. Pour filer la métaphore circassienne, on pourrait dire que le trio formé par Gene LAKE (batterie), Marcus ROJAS (tuba) et Edwin RODRIGUEZ (tuba) se situe quelque part entre un numéro de funambule qui tutoierait les cimes et celui d’un clown ivre luttant pour ne pas se casser la gueule. Gene LAKE, ébouriffant de virtuosité contenue, excelle dans les mesures composées, celles dont on ne comprend pas toujours comment elles sont construites. Le tempo est rigoureusement tenu bien sûr, mais on est très loin de l’habituelle alternance de temps forts et faibles qui vous permet dans des musiques plus ordinaires de ne jamais vous perdre vraiment.

Too Much Sugar For A Dime est un grand disque. Et d'ailleurs, combien sont-ils, ces albums qui vous embarquent dès la première seconde d’écoute, et qui vous tiennent fermement par les deux oreilles jusqu'à la dernière note ? A l’évidence très peu, tant il est difficile même pour un grand musicien d’éviter la tentation d’un petit remplissage par ici, d’une petite facilité par-là. Or, si THREADGILL l’évite, cet écueil, c’est qu’il nous délivre une musique contrastée et d’une richesse incomparable. Non seulement on est happé dès la première note, mais on peut lui consacrer des heures d’écoute sans jamais avoir l’impression d’en avoir fait le tour. Too Much Sugar For A Dime est un très grand album, accessible, dans lequel THREADGILL nous offre un véritable feu d’artifice sans jamais perdre le contrôle de sa machine divine et infernale. A écouter absolument