Au milieu des années 80, si les concepteurs de jeux vidéo d'arcade se tirent la bourre pour accéder au podium des champions, Sega est probablement la firme japonaise qui frappe le plus fort. Ils ont déjà une jolie expérience : Zaxxon, Congo Bongo, Hang-On, autant d'excellents jeux mais qui n'ont pas brillé par leur musique. 1985, Space Harrier vient tout chambouler. Non seulement le jeu se permet une vision 3D assez vive, colorée et pleine de détails, avec du fun et de l'action à gogo, mais le joueur n'aura pas pu passer à côté de son thème principal.

Il faut l'avouer : le thème de Space Harrier, ce n'est pas seulement le début de la "vraie" carrière d'Hiroshi KAWAGUCHI, qui pour l'occasion s'est battu avec les machines comme jamais : c'est aussi la naissance de la musique de jeu vidéo en tant que style à part, et la consécration de Yamaha, qui avec son processeur sonore YM2203 impose sa griffe sur toute une industrie au détriment de Roland, Korg et autres concurrents, tous japonais par ailleurs. Il faut dire qu'il y a de quoi. Ce thème, c'est un concentré de bonheur. Furieusement épique et entraînant, simple mais savamment conçu, doté d'un pont un peu funky propice à un joli solo de synthé, "Space Harrier Theme" est un très, très grand morceau de synthpop instrumentale, qui exploite à fond ledit processeur et notamment les percussions. La profondeur de son est simplement bluffante : les basses sont belles, rondes, enveloppantes et sans aucune saturation. Ce n'est qu'un détail technique, mais ça permet de mieux apprécier l'excellence de la compo, ce thème sifflable sous la douche qui pousse au cul et exalte le joueur, qui remet deux thunes dans le nourrin à chaque Game Over - parce que soyons pragmatiques, il s'agit aussi de ça !

Le thème est donc un somptueux chef-d'oeuvre. Pour les autres musiques présentes sur disque, et dans le jeu, c'est plus discutable : il s'agit de musiques "de boss de fin de niveau", qui tournent souvent en boucle sur dix secondes, avec à peine quelques percus un peu différentes pour varier. C'est donc déjà un peu plus difficile à écouter hors-jeu, même si ça reste agréable. "Squilla" notamment est bien menaçant, fourbe, "Godami" titille les nerfs du joueur, "Battlefield" joue la carte de la virtuosité, et "Stanray" préfigure les oeuvres de Robert PRINCE dans Doom : anxiogène, minimaliste. D'autres petits passages restent moins écoutables, voire carrément anecdotiques, comme notamment "Valda" dont la pauvreté reste en travers de la gorge (NDLR : .........).

Aussi il convient de bien faire le distinguo entre la musique à écouter et celle à vivre. En tant que CD / vinyl de musique, Space Harrier n'a pas la consistance musicale d'un Out Run, pour rester dans KAWAGUCHI. Ce ne sont après tout que des débuts, timides. Mais en tant que musique fonctionnelle, il faut admirer l'efficacité de ces petits segues nerveux et rythmés. Seule, "Lakeside Memory" se permet d'être un autre "vrai" morceau, culcul comme on aime, et dont le romantisme nostalgique préfigure "Last Wave" de Out Run.

L'écoute à part de Space Harrier est donc réservée à des connaisseurs, des fans ou des auditeurs qui n'ont pas peur d'un côté répétitif et presque expérimental. Mais la version vinyle sortie par le fameux label DataDisc possède un atout de taille (outre la grande beauté de l'objet, comme d'habitude) : nous trouvons en bonus track la reprise du thème par S.S.T. Cékoidon S.S.T. ? C'est un "vrai" groupe de prog rock instrumental formé par les musiciens attitrés de Sega et qui reprennent leurs titres avec de "vrais" instruments, à la sauce rock. Et c'est gé-ni-al. La reprise est meilleure que l'original, avec un choix de sons leads parfait, un solo de guitare bien metal dans l'esprit, du punch, du groove, bref c'est le pied intégral. Du reste S.S.T. a déjà prouvé maintes fois leur talent, y compris en live, mais comme très peu d'occidentaux s'y sont intéressés, c'est l'occasion où jamais de découvrir. Ca parachève l'oeuvre : certes, Space Harrier est très court et inégal, mais ses qualités sont indéniables. On est passé de l'artisanat à l'Art, majeur. Les anti-synthés s'en étrangleront. Les autres remettront deux thunes dans le nourrin. Et les moqueries sur la musique "bip-bip" ? Dorénavant, c'est Game Over. Allez, on s'ouvre l'esprit, on retire le bandeau, on se décrasse le goût ! WELCOME TO THE FANTASY ZONE !

Note finale : 3 en disque, 4 en jeu